L'un des meilleurs films de cette année. As Bestas est un thriller particulièrement efficace qui résonne tout autant de par la maitrise de sa mise en scène, que par son sous-texte écologique incarné par la lutte des classes.
Rodrigo Sorogoyen arrive magistralement à créer une astmosphère plombante dans la Galice, une campagne très pauvre. Mais ce genre d'endroits est très souvent vu comme un échappatoire, un symbole de liberté face à l'urbanisation de tout, pour ceux vivant en ville : les bourgeois, ou ceux de la classe moyenne (dont semblent issus nos deux protagonistes). Mais le réalisateur sait de quoi il parle. Par conséquent, il met en scène un réalisme cru de la situation des campagnes, où les résidents sont souvent condamnés à vivre là bas toute leure vie. Une condamnation au travail, qui leur bousille le physique et le mental, avec aucune capacité d'émancipation vers la société, qu'elle considre comme des impropres, presque des bêtes sauvages.
Et c'est dans ce climat, et en tant que bons français qu'apparait ce couple plein de bonnes intentions, mais qui sera très vite mal accueilli par la population locale. Ce sont deux visions radicalement opposées qui se combattent pendant presque tout le film. Et la maitrise de cette tension résulte déjà dans la mise en scène du réalisateur, qui laisse beaucoup de temps au scènes pour développer l'angoisse : que ça soit pendant des scènes du quotidien dans le bar miteux, en pleine agriculture, ou bien lors des premières altercations entre les personnages. As Bestas prend le temps, il pèse lentement et très lourdement, ce qui accentue la sensation de danger qui ne cesse de grandir et de grandir. Et malgré ces deux parties très distinces et assez différentes dans le propos et dans le genre (la première est plus thriller, la deuxième plus vers le drame), le film ne cesse d'être riche dans sa manière de filmer ses personnages. Certains plans séquences laissent juste place au dialogue, avec un rythme parfaitement bien maitrisé dans les silences, les regards. Tandis que d'autres plans résonnent avec un parallèle déroutant (celui du début avec les chevaux, est réutilisé habilement de manière très crue dans une autre scène importante.)
Et cela est aussi dû à une magnifique interprétations des comédiens et de leur interprétation des dialogues brillament écrits. Sorogoyen a l'intelligence de ne jamais être manichéen dans cette lutte, et de ne jamais tomber dans le cliché dans l'écriture de ces personnages : les deux frères sont bouseux, mais pas pour autant débiles ou illetrés, ils sont conscients de leur situation et sont extrêmement frustrés de ne pas pouvoir faire grand chose de leur situation. Et la seule opportunité qu'ils ont de pouvoir enfin partir, est détruite par la décision du couple de ne pas accepter la mise en place d'éoliennes dans le village. Car, de leur point de vue, c'est une entreprise capitaliste qui profite de la pauvreté d'un village riche et joli d'origine. Mais pour les deux frères, c'était une opportunité de se faire de l'argent de pouvoir enfin déguerpir. Deux raisonnements dont le spectateur moyen ne peut qu'être compréhensif. C'est là où As Bestas est très fort : il est impossible de donner tort ou raison à l'un ou l'autre. Et les comédiens sont tout simplement brillants : Luis Zahera est traumatisant de par sa bestialité dans son visage, ainsi que son frère, sorte de semi psychopathe dont on ne prédit jamais les actes, et Denis Ménochet est très juste dans son rôle, car il apporte le physique d'un homme qui se laisse pas faire et qu'on aurait pas vraiment envie d'embêter, mais la faiblesse de souvent céder à la violence verbale et à sa virilité parfois maladroite. Marina Foïs, qui domine la seconde partie du film, brille autant de par son jeu que par son écriture. C'est une femme forte, qui encaisse, et qui, derrière le physique imposant de Ménochet, laisse apparaitre la plus fort mentalité, la plus forte rationnalité. Seule Marie Collomb a tendance à être déséquilibrée dans son jeu. Elle en fait parfois trop, mais la maitrise est si forte partout qu'il est difficile de se hisser à un tel niveau.
Quand la mise en scène mixe autant de qualités d'écriture, de visuel, de direction d'acteurs, ça donne un film à la fois divertissant de par son universalité dans le thriller, mais aussi une véritable oeuvre de cinéma. As Bestas livre un un réalisme effrayant de ses campagnes en choisissant la désillusion de ce monde que les gens ont tendance à idôlatrer, tout en donnant un texte sur le bio, l'intrusion, et l'écologie au niveau politique à travers une lutte des classes très physique.