Shipei Wen baigne son premier long-métrage dans une ambiance rappelant les polars Hong-kongais des années 90. Il est à mi-chemin de la citation et de l’expérimental, où il organise une rencontre de deux âmes solitaires. Pourtant, son désir est de se détacher du cinéma de Wong Kar-wai et de bien d’autres, à une époque où l’on peut encore prétendre à une telle transcendance à travers la solitude d’un anti-héros, prêt à tout pour se racheter, prêt à tout pour faire le bien. Le parcours de ce dernier n’est pas aussi simpliste qu’il n’y paraît et il aura beau s’enchaîner à sa culpabilité, il ne reste pas seulement là à contempler sa situation, il cherche le verrou et le pardon qui apaisera son esprit et qui justifiera sans doute son existence torturée.


Le metteur en scène s’applique donc à rendre son protagoniste ivre de la vie elle-même. Xueming (Eddie Peng) prend la route, sans raison apparente et c’est bien entendu le début d’une longue descente aux enfers pour lui. Il percute un piéton, le cache et fuit. Cependant, durant la nuit du drame, l’obscurité ne semblait pas assez forte pour qu’il en oublie la lâcheté. Le destin le ramène toutefois vers la veuve de la victime, où un lien se tisse entre mélancolie et fascination. Madame Liang (Sylvia Chang) est attirée par lui et Xueming est aspiré par elle, du fait de sa position et du fait de sa vulnérabilité, qui le condamne à regarder en face son échec. Ce n’est pas un récit qui prétend voler au-dessus du nid de coucou, mais lorsqu’il est repensé par son esthétique, les émotions prennent vie.


À la force d’une narration fragmentée dans sa première partie, Xueming capitule dans la crasse et sous les coups d’une rixe qui se trouvait sur son chemin. Son cœur prend des couleurs rougeâtres qui se confondent avec l’atmosphère d’une ville condamnée au deuil et à la violence, comme s’ils étaient intimement liés. Wen continue alors de retourner les émotions et les sens, afin de révéler une lueur d’espoir et de bonté dans ce monde ingrat, où même la police ne peut apporter l’harmonie. C’est parmi les êtres égarés que l’on trouve un peu de fraîcheur, comme en atteste le boulot du héros ou encore un chanteur aveugle et clairvoyant. Ils sont censés apportés un peu de pommade, là où la plaie pourrait s’infecter et c’est ce qui arrive du côté de chez Liang, qui se confine autour de son chagrin.


« Are you lonesome tonight ? » (Re Dai Wang Shi) dresse finalement le portrait amer et stylisé d’une banlieue poisseuse, où l’inconfort oscille entre le fantastique et la réalité. Les flashbacks cauchemardesques nourrissent la confusion, avant d’achever le combat que mène Xueming, aux portes de l’enfer. Cependant, l’ambiguïté possède ses limites, sachant le scénario balisé de bout en bout, et ce, malgré l’effort de montage du premier acte. Il reste alors un maigre développement relationnel, qui ne trouvera de la subtilité que dans son visuel hypnotique. Mais au-delà de ça, quand bien même on cherchera à avouer ses crimes ou ses faiblesses, il ne sera pas possible de croire de telles pensées, notamment si elles proviennent d’un inconnu, qui n’a que la vérité pour le châtier et pour le délivrer.

Cinememories
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le 18 avr. 2022

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