Antichrist, le cinéma gore au féminin

Il est ressorti deux idées maîtresses des critiques du film de Lars von Trier : premièrement, le film est l'état des lieux d'une dépression, mise à l'écran par un homme qui a le pouvoir et la notoriété de s'offrir une catharsis collective en faisant un film, grand bien lui en fasse. Deux, il s'agit, hélas, d'un film misogyne.

Pour répondre à la première, le film est loin d'être une déjection scopique qui réfute le besoin que le film a du spectateur. Une telle vision de ce film sur la culpabilité, et la terreur de la nature qu'inspire l'horreur de la perte d'un enfant, reviendrait à considérer qu'un film romantique est l'œuvre d un dépressif en quête de plaisir facile, un Buster Keaton, ou un Chaplin, l'œuvre d'un obsessionnel du rangement, un policier celle d'un paranoïaque : Bref, la liste est longue. C'est réfuter l'idée même du cinéma, ou alors on peut toujours faire un film français pour satisfaire ces militants d'un cinéma sain. Et encore qui sait si les Cecile Telerman et consœurs ne sont pas une société secrète d'agoraphobe jamais sorti du 16ème. Bref, le cinéma par la forme qui l'impose, et le fait que le film afin d'être construit est souvent une variation autour d un thème ne peut être qu'une œuvre de dérangé, qui s'attache aux détails, tel un romancier développant ses descriptions.

Comparer une œuvre troublante, voire gênante à un événement de la vie de son créateur est tout bonnement nul, et non avenu. Il s'agit en fait ici d'un point de vue avec ses défaillances, car la dialectique ne peut tout dire, sur la psychologie d'une femme. Le film est loin d'être abscons tant les longs dialogues affirment la rhétorique du créateur et donnent de multiples clefs sur les personnages.

Car il s'agit là d'une mise à nu, et d'une prise de risque à laquelle peu d'actrices se soumettent à l'heure où la prise de risque au cinéma consiste à s'alourdir d' une petite dizaine de kilogramme, ou à s'affabuler de postiches. Ces faits de guerre relèguent malheureusement le cinéma au rang d'une foire agricole. Ici, Charlotte Gainsbourg s'est extraite du spectaculaire par le truchement d'une doublure corps, ne s'imposant à elle-même que l'indélicatesse du jeu de ces scènes de barbaries.

Charlotte joue donc la culpabilité d'une femme après la mort de son enfant, qui s'est jetée par la fenêtre, tandis qu'elle même, dans la pièce à coté partageait un orgasme enthousiaste avec son mari. Cette scène d' ouverture du film représente une suite d' idées, de sensations : plans esthétiques qui viennent à la manière d' un tableau impressionniste former une œuvre plus vaste qui n'est autre que la mise a l' écran d' une psyché commune : Car il y a tant de choses dans ce film que cela soit dans sa constatation des rapports hommes femmes, du rapport à la nature, de la quête, que le film se transforme en une expérience commune, sorte de projection à l' écran des milliers de pensées sombres qui animent chaque individu présent dans la salle.

Nous ne pouvons que remercier Charlotte Gainsbourg de personnaliser à l'écran cette catharsis commune : Car cela doit certainement demander beaucoup de courage de sortir de la rive gauche et des publicités pour Balanciaga, et de donner son image, rangée, lisse, au cautionnement de telles déviances.
L'actrice interprète donc un objet coupable. Si elle est objet, elle n'est pas pour autant ressentie comme sexuelle par son mari : Au contraire Charlotte est objet-sujet d études de son mari qui s'en sert de psychanalysée.

Pourtant, il se laissera abuser par cette métaphysique féminine et partira en quête d'indices tangibles dans la réalité. Son pragmatisme le tuera : « Que s'est- il passé l'été où ma femme est partie seule avec l'enfant ? » Voilà ce que le psychologue pense. Et c'est ceci qui le mènera à sa perte lorsque Charlotte tentera de l'objetiser à son tour en l'empalant à un rouage de plomb : Car il n'a pas compris la culpabilité, un mal féminin, car quoiqu' il arrive à l'enfant, la femme est toujours coupable aux yeux de la société, de par le moindre fait ou geste qu'elle aurait commis et qui aurait pu perturber l'enfant.

Il eut mieux fallu pour lui s'intéresser à cette nature environnante, reflet du mystère humain, siège de l'été d'une mère seule avec son enfant, que de s'attacher à des faits et reflet de la nature humaine. A l'heure où l'auteur vous écrit il s'aperçoit qu'il n'a pas répondu à la deuxième idée de la critique. Enfin, il semble que c'est clair.


gouttedepluiesu
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le 14 juin 2010

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