Si l’on pouvait s’attendre à un retour aux sources, en laissant la chair des minorités s’exprimer, l’espoir se dissipe rapidement. La promotion gâche amèrement tout effet de surprise dans une œuvre qui cherche à jouer sur deux temporalités, chose d’ailleurs confirmée par une citation de William Faulkner dès l’ouverture. Et bien qu’il serait facile de s’abandonner à cette mauvaise découverte, Gerard Bush et Christopher Renz enfoncent encore le clou, dans la prétention de rendre justice ou même hommage aux victimes de racisme dans les Etats-Unis d’hier et d’aujourd’hui. Il ne peut pas encore y avoir d’épuisement du sujet et pourtant, les réalisateurs loupent le coche en omettant la principale caractéristique de leur projet, à savoir un objet cinématographique consistant, voire simplement divertissant.


On y évoque l’emprise des institutions sur un mode de vie régressif et masqué par les valeurs du collectif, que l’on prend la peine de bien expliciter. Et c’est peut-être même trop. Que ce soit au niveau narratif ou des enjeux, on ne prend plus de pincettes, alors que le décor laisse de la place au véritable thriller psychologique, qu’on nous a promis et qu’on attend toujours. Il n’y a donc pas d’éléments qui convoquent des émotions chez le spectateur, qui intercepte déjà tous les outils afin de décrypter cette intrigue fébrile. C’est la frustration qui prend le dessus et peu de chose nous réconfortent dans ce périple, dès lors que certaines lueurs d’espoir se révèlent être gâchées par le grandiose, que l’on confond imprudemment avec l’abus de confiance. Le film nous prend ainsi par la main, avec des personnages trop sûrs d’eux, même dans le cas de l’héroïne Veronica Henley (Janelle Monáe), qui appelle à la révolution.


La démonstration est significative dans une intrigue qui se regarde dans le miroir. On fait également l’impasse sur la subtilité, car l’œuvre s’autorise trop de références et se les approprie maladroitement, pour ne pas dire inutilement. Le cœur du sujet trouve tout de même sa place dans quelques scènes regroupant des soldats sudistes, avides d’imposer leur doctrine et leur suprématie. Mais la seule gêne qu’on en tirera, ce sera dans l’étirement des discours ou de la mise en scène superflue. A tous les niveaux, nous finissons par revenir sur nos pas, dans l’espoir d’enfin découvrir l’élan de cette colère, celle des opprimés. Malheureusement, bien que certaines idées puissent séduire, jamais le film ne nous offre la vérité, la violence ou les conséquences de ce qu’il combat. Jamais, les antagonistes ou Elizabeth (Jena Malone) ne parviendront au compromis de la torture psychologique, car on préfère écarter leur point de vue, tout comme leur potentiel horrifique, de crainte qu’on ne fasse de l’ombre à l’évolution tragique et à sens unique d’une nation esclave de son patrimoine.


La surprise est donc acerbe et « Antebellum » subit inévitablement le contrecoup de sa démarche, car en cherchant le soutien dans l’influence de la raison, il perd toute crédibilité dans sa construction. Les intentions sont évidentes et peinent à rester pertinente dans le temps. Ce qu’il fallait comprendre rentrerait parfaitement dans un clip qui abuserait de ralentis, tout en filmant un élan de justice et de liberté. L’œuvre commet souvent ce genre de superposition, sans vraiment savoir s’il faut s’exprimer avec des mots ou des images. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne trouveront le chemin du succès ou simplement de l’intérêt, dont les enjeux seront mieux exploités ailleurs.

Cinememories
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le 25 oct. 2020

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