J'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'incompréhension par rapport au film. En même temps c'est normal c'est un peu voulu. Le film est un puzzle, il se passe des trucs assez cryptiques, et au premier abord on pourrait croire que c'est bourré d'incohérences.

Avant de vouloir faire une vrai critique je voulais surtout poster ma lecture, mon analyse du film pour au moins qu'il y ai quelque part sur ce site une sorte d'explication, de recollage, qui permettrait déjà de partager mon enthousiasme pour ce genre d'exercices et permettrait aussi à ceux qui seraient passés à côté de peut-être (re)découvrir un film qu'ils apprécieraient si ils l'avaient vu comme moi à travers certaines clefs de lecture qui me sembles importantes.

Même sans ça, malgré ses défauts apparents, il faut bien reconnaître que le film a des choses à offrir. C'est beau, c'est long peut-être, mais si on est sensible à une certaine science-fiction contemplative normalement on devrait se laisser toucher par les images de nature extra-terrestre, pleines de poésie un brin macabre, parfaitement servies par la mise en scène très (trop peut-être?) symboliste et des effets spéciaux allant d'un registre de beau, à carrément stylés ! En plus de ça les actrices sont fortes, leurs personnages attachants, quoique clichés. A travers les yeux de Natalie Portman on imagine beaucoup dans ce voyage au sein de la zone, avec tout les mélanges rendus possible par la comète au delà de ceux déjà montrés. Le film est un récit odyssée, une succession d'îlots scéniques qui montrent un peu plus à chaque fois ce que Garland fait (et peut faire, hors-champs) avec son principe de Shimmer.

Les personnage sont quand-même parfois vachement bête, allant à l'encontre de l'instinct de survie le plus basique. Prendre un bateau sur un marais d'où vient de les attaquer un crocodile mutant, ça a l'air de venir à l'esprit de personne que peut-être il y en a d'autres. Le truc énervant de refuser de révéler des informations vitales au groupe. Apporter des points de vues dont on avait jamais entendu parler auparavant dans le but de faire monter une tension artificielle.

Mais en fait beaucoup de ces problèmes scénaristiques sont expliqués par le scénario même, lorsqu'on prend en compte le point de vue du film amené par sa fin. C'est là où si on aime pas spécialement les films « puzzle », c'est compréhensible qu'on passe à côté du film et c'est pas très grave. Par contre, pour les amateurs de symbolisme, normalement là y a de la matière à cerveau. C'est notamment pour ça que j'étais d'autant plus surpris par le rejet de certains qui préférait à Annihilation, Premier Contact, assez similaire dans la structure et dans l'analyse qu'on peut en faire.


ATTENTION : À partir de maintenant, je spoile à tout va !


(Spoiler Premier contact :)

Dans Premier Contact il y a un lien entre la langue alien qui, lorsqu'on a appris à la parler, nous fait percevoir le temps différemment, tout comme... Le Cinéma !? Dans Annihilation, on a le même principe. La zone réorganise les atomes et les ADN des plantes pour leur donner un squelette (et un ADN) humain, là où un réalisateur va réorganiser par le montage les atomes de psychologie humaine capturé sur l'ADN de pellicule pour leur donner un squelette de film ! C'est un peu gadget mais ça montre avec quelle mentalité on peut aborder le visionnage pour le rendre intéressant et surtout cohérent.


Lecture et Analyse.


Le premier élément de relecture arrive très vite. Il s'agit de la première scène au sein du Shimmer où les personnages se réveillent de ce qui à l'air d'être leur première nuit avant de se rendre compte que trois jours sont en fait passés. La perception du temps et de soi-même est donc différente dans ce lieu. Ce qui sera montré par la suite n'est peut-être même pas conscient chez les personnages. Au delà de l'évidente peur de mourir, ou de l'évidente peur d'avoir des choses qui rampent sous la peau, ça explique les pétages de plombs soudains de certains personnages. Cependant, les cinq femmes auraient probablement dû se réunir pour discuter du comportement à adopter pour les jours suivants, dans le but de palier à ces pertes de consciences actives si elles se renouvellent dans le futur. C'est pour moi le seul véritable (mais gros) défaut du récit qui ne prend pas cet élément en compte.

Mais alors, si la troupe est sujette à des pertes de consciences, comment ça se fait que Lena est capable de nous raconter son histoire avec autant de précisions ? C'est parce que l'entité consciente qui contrôle la zone l'a choisie pour arriver jusqu'au phare et c'est même montré pendant la même scène. Lorsqu'elle se réveille, Lena remarque un bleu à son avant bras gauche, dont elle ignore l'origine. Ce bleu qui se transformera en tatouage de « 8 » qu'elle arbore pendant les plans de l'interrogatoire, mais qui sont absents des flash-back. On nous explique le fonctionnement de la zone en nous la présentant comme un « prisme » dans lequel tout les ADN qui y évoluent se sont mélangés et on part du principe que ce mélange, cette réorganisation, est aléatoire. Mais quand la fin nous révèle que la comète est une entité consciente, rien ne nous confirme que cette réorganisation est aléatoire, ce serait même plutôt l'inverse. Rien ne nous dit non plus que l'ADN est la seule chose que l'alien est capable de réorganiser. Ce « 8 » peut très bien être la preuve que l'alien a insufflé une partie de sa persona dans la conscience de Lena pour qu'elle fasse ce qu'il attend d'elle. Ce qu'il attend d'elle étant montré à la fin qu'il faut je pense clarifier.

Lena découvre, arrivée au phare, que son mari est mort dans la zone et que la chose qui est en revenue est un double. Elle assiste à la création de son propre double par la multiplication d'une goutte de son sang, au sein de la matrice qu'est devenue le Dr. Ventress après sa réorganisation cellulaire. Elle combat son double et réussi à le tuer, ce qui aura pour conséquence de mettre le feu au phare et de détruire la comète. Son histoire terminée elle retrouve Kane, lui demande si il est réellement son mari. Ce à quoi il répond en demandant si elle est véritablement Léna, ils s’enlacent.

Ce n'est pas une fin ouverte. Toujours enlacés, gros plan sur les yeux de Oscar Isaac qui se mettent à briller de la couleur arc en ciel du Shimmer et des lens flare de la zone. L'iris de Natalie Portman brille de la même couleur sur le contrechamps, montrant que nos deux personnages sont en fait l'Adam et l'Eve d'une race extraterrestre dont le but est toujours inconnu mais qui, à la lumière de l'histoire contée, est probablement belliqueuse. Dans la scène qui précède il y a même une reprise du plan du début où Lena et Kane se prennent les mains au travers du verre d'eau, l'élément important cette fois étant que le reflet de la main seule de Natalie Portman y est montré inversée, renforçant l'idée qu'elle n'est pas de ce monde. Elle est l'inverse de ce qu'elle est sensé être.


Au moment où j'écris, je n'ai trouvé cet élément mentionné nulle part. Bien sûr ça me paraît évident couché sur papier et peut-être que personne n'en parle parce que c'est si gros justement. Mais j'en doute, au vu de la place que tient cet élément dans le mode narratif...

La narration depuis le début est faite par Lena. Mais comme montré avant, pas la Lena qui a vécu l'histoire non, son double alien. Le narrateur a des intérêts à tronquer le récit et ne se prive pas de le faire puisqu'il a volontairement présenté la Lena humaine comme gagnante de l'affrontement alors qu'il n'en est rien. Il a même probablement un point de vue, dans le sens moral du terme, très différent de celui d'un humain.

Au début du film, le Kane qui réapparaît a visiblement du mal à montrer de l'empathie. Il repousse Lena plusieurs fois et présente un visage inexpressif, en plus du plan de la table de profil, avec le dos coupé, signifiant l'état de déconnexion psychologique dans laquelle il se trouve. Les plans à l'intérieur de la zone sont souvent très éloignés lorsque l'on filme les autre personnages que Lena, ne dépassant souvent pas l'échelle du plan américain, et privilégiant les plans latéraux plutôt que de face, ou encore en cachant les visages sous une lumière ultra contrastée, ces éléments ne facilitant pas la lecture des émotions.

C'est une caractérisation du point de vue de l'alien. Il ne comprends visiblement pas la psychologie humaine et les émotions qui y sont liées. Même son intérêt plus particulier pour Ventress n'a rien de psychologique ou d’empathique. Il est plus probable qu'il vienne de leur similarité plutôt que d'une quelconque empathie, puisque Ventress a un cancer et que lui-même est traité comme tel au long du film, métaphoriquement et littéralement. Il est plus fasciné par sa propre création, la zone, que par les personnages. Le décor et l'environnement est en soit un «meilleur personnage», plus intéressant que les humaines. Ainsi, Lena, partie à la recherche du corps de Anya Thorensen, fini par la trouver morte en deux plans fixes : l'un de profil, impersonnel, et l'autre en plongée, froide, montrant le corps mutilé. Tout ça sans aucune réaction de la part de Natalie Portman. Puis cut, et l'on a droit à une scène magnifique à l'opposé de la première, au ralenti, sur la danse miroir d'un cerf blanc aux bois de fleurs et de son étrange clone. Les incohérences scénaristiques ne sont alors plus si incohérentes si on prend tout ces éléments en compte. Des personnages au traitement psychologique simpliste ? Le narrateur s'en fout et ne fera aucun effort pour les comprendre. Une fin abrupte ? L'alien a sûrement lui-même détruit la comète pour en empêcher toute analyse future par les humains et a menti sur la fin de son histoire.


Mais si le récit n'est qu'un mensonge inventé de A à Z par l'alien, qu'est ce qui pousserait à un deuxième visionnage ? Qu'est ce qui est intéressant dans un récit qui n'est qu'un mensonge de 2h ? Pleins de choses, puisque ça n'empêche pas des films similaires d'être bien plus apprécié par les spectateur et la presse qu'Annihilation. Puis le récit n'est pas entièrement un mensonge. L'alien semble fasciné par Lena. Il revisionne des périodes de sa vie par l'intermédiaire des flash-back. Il choisit les séquence arbitrairement, dépeignant une évolution de la vie de Lena qui met complètement de côté sa psychologie. Ses actes ne sont jamais justifiés, ou plutôt la justification a l'air de se trouver entre les séquences montrées. Lorsqu'on lui demande d'expliquer ses actes, elle n'en est pas capable. J'y vois la seule tentative de la comète de se rapprocher de l'humain et d'essayer de comprendre les personnages qu'elle a choisi pour devenir ces prochains Avatars. Ce qui ajoute un dernier attrait au film. Chacun des voyages initiatiques présentés sont aussi touchant par la beauté du côté voyage que par la tragédie du côté initiatique. Cela vaut pour les camarades de Lena, pour Lena elle-même mais aussi pour l'alien. Car la représentation qu'il se fait des sentiments est factice et la tentative finale d'embrassade est très gênante. Nous ne seront pas sauvés, mais lui ne comprendra jamais la valeur des sentiments humains et ne pourra que les imiter maladroitement.

RomainGautier1
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le 23 juin 2023

Modifiée

le 23 juin 2023

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Romain Gautier

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