Le théâtre des marionnettes

Les lumières de la salle s'éteignent, le projecteur se met en route mais le film, lui, n'a pas commencé.
Nous sommes dans les coulisses : le réalisateur demande le silence, les acteurs enfilent leur costume et se séparent pour prendre leur position respective. Tout est enfin prêt, les acteurs deviennent des personnages, le rideau va se lever et le film peut débuter.

À l'autre bout, une scène finale qui restera sans doute dans la mémoire du cinéma, sous forme d'échange raté entre Henry et Annette.
La voix tremblante, il (Henry) se repent de sa faiblesse, d'avoir cédé à la tentation de l'abysse. La voix trop puissante pour une enfant, elle (Annette) est résolue à oublier si elle n'arrive pas à pardonner.
Mais ils ne chantent pas ensemble, ils se coupent et leurs voix se superposent. Ils ne se comprennent pas, ne se parlent pas, et ils n'auront certainement plus l'occasion de le faire.
Cette scène incroyable m'a d'ailleurs fait penser à celle de Délivrance (John Boorman, 1972) avec l'échange de guitare-banjo qui termine en duel musical, symbole deux mondes qui ne peuvent pas se comprendre.

Résumons : une ouverture et une conclusion magistrales, mais entre les deux ? Je ne sais pas quoi garder.
En cause : une narration saccadée (peut-être car le film est entièrement chanté), qui brouille le rapport au réel. Qu'est-ce qui est vrai ou faux dans ce qui nous est montré ? Où s'arrête l'histoire du couple et où commencent leurs fantasmes et leurs peurs intimes ?

Les personnages sont littéralement des acteurs/comédiens, leur fille Annette est une marionnette désarticulée, les décors font trop "faux" pour que ce soit une erreur.
Tout indique que nous ne regardons pas un film au premier degré, mais un gigantesque théâtre de marionnettes où il est convenu que le spectateur sait que tout est faux, tiré par des ficelles.
Et c'est sans doute cet aspect du film qui m'a donné l'impression d'y être extérieur.
Au final, pas mal de frustration et d'incompréhension alors que surviennent les différents rebondissements de l'histoire. D'ailleurs, l'un d'entre eux le résume très bien en demandant : "Pourquoi maintenant ?".

Je tiens à faire une dernière mention tout de même sur la construction personnages, habités par des peurs passionnantes : peur de la paternité, peur de ne pas tenir son rôle, peur de la part d'ombre (chez soi, chez l'autre), peur de l'oubli… C'est d'autant plus vrai pour le personnage d'Henry, rebelle, provocateur, violent, mais qui ne saurait gommer complètement sa faiblesse, sa sensibilité et finalement son humanité.
Il y a quelque chose de très touchant et d'universel là-dedans, qui me fait d'autant plus regretter d'être resté en marge du film.