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Après la production compliquée de Sybil (elle juge l'avoir fait trop court et d'avoir été dans un excès de maîtrise au niveau de sa mise en scène), Justine Triet envisage de retravailler avec Sandra Hüller sur un nouveau projet. Elle pense alors à deux projets, dont un huis clos avec une mère et un enfant aveugle en pleine montagne. Elle part finalement sur l'analyse d'un couple à travers le film de procès et garde l'idée du gamin sous le coude.


Triet se lance avec son compagnon Arthur Harari dans le scénario d'Anatomie d'une chute au début du confinement et pense à un film assez long, ce qui l'amène à se demander si une série ne serait pas plus mal. Elle écrit ainsi beaucoup de personnages (notamment une journaliste faisant article sur article sur l'affaire) et voulait prendre son temps pour décrire le personnage principal, quitte à en dire trop. Triet et Arthur Harari ont alors resserré l'action, ce qui n'a pas empêché de faire un film long de 2h30.


Le couple s'est donné une certaine liberté dans l'écriture, chacun écrivant de son côté, ce qui n'a pas empêché des désaccords des deux côtés. Les deux scènes qui posaient problème étaient l'ouverture et la scène de dispute. Cette dernière a d'ailleurs bien failli rester uniquement sonore, avant que Triet ne veuille la rendre plus vivante en montrant le mari (Samuel Theis) jusque là présent uniquement par photos.


Un personnage qui hante le film car il est au centre de toute l'histoire. Sa mort est un mystère digne de ce nom et la réalisatrice va suffisamment s'amuser à brouiller les pistes pour que le spectateur ne puisse pas avoir de solution claire. Anatomie d'une chute a un verdict, mais il n'est pas une finalité et c'est un aspect qui était déjà fascinant dans La fille au bracelet (Stéphane Demoustier, 2019), autre film de procès français sorti ces dernières années. Dans les deux films, le spectateur se présente comme un juré. On lui montre des faits, lui donne des explications et autres déclarations et avec cela, il se fait son propre jugement. Sauf que comme Stéphane Demoustier, Triet laisse des zones d'ombre, induisant le spectateur vers de possibles fausses pistes ou des interprétations. C'est ce qui rend le film aussi intéressant et bien écrit. Même avec le verdict en tête, le spectateur aura sa propre interprétation de ce qui s'est passé et Anatomie d'une chute de devenir un sujet de conversation fascinant. Depuis sa projection à Cannes, beaucoup pensent avoir la solution, que ce soit en faisant de Sandra une coupable ou une innocente. Pourtant, rien n'est moins sûr et Sandra Hüller a joué le personnage sans savoir concrètement la chose, rendant son interprétation encore plus troublante.


Le procès amène aussi d'autres choses. Tout d'abord, le déballement de l'intimité, le couple étant disséquée jusqu'aux choix de musique (50 Cent appréciera). Tout est bon pour les avocats, permettant un sacré combat de coqs entre le rentre-dedans Antoine Reinartz et le plus calme Swann Arlaud.


Il y a aussi le regard de l'enfant découvrant des choses qu'il n'aurait jamais dû entendre. Le spectateur se met donc en empathie pour lui au vue des événements. Pire, les adultes le regardent de haut, comme s'ils parlaient à un adulte et ne prennent pas en compte que son jugement peut être altéré, rendant la reconstitution désagréable. A cela rajoutez qu'il est mal-voyant, donc tout repose sur ce qu'il a entendu ou partiellement vu. Le chien joue également un rôle important, permettant d'évoquer un autre mystère de l'intrigue et Milo Machado Graner forme un beau duo avec lui.


Anatomie d'une chute est une Palme d'or plus que méritée, habile film de procès où tout le monde est juré et a son propre avis.


Certaines informations sont issues d'entretiens avec Justine Triet publiés dans Cinémateaser (numéro 124, été 2023), Première (n°543, septembre 2023) et Sofilm (n°98, été 2023).

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le 18 févr. 2024

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