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Des excellents films de procès, ce n'est pas ce qui manque dans le cinéma français ces temps-ci, et je ne suis pas sûr qu'Anatomie d’une Chute soit nécessairement le meilleur d’entre eux. Mais même si je ne lui aurais pas forcément attribué la palme, je reconnais que le long-métrage ne manque certainement pas de qualités.


J'avoue cependant ne pas avoir une grande estime pour le couple au centre du récit, tant la nature de leurs engueulades reposent sur des considérations d'artistes bourges, complètement déconnectés des préoccupations du plus grand nombre. Entre monsieur qui jalouse le succès de sa femme et lui reproche sa léthargie créative, alors qu'il s'est lui-même enfermé dans un quotidien monotone qui le débecte ; ou madame se sentant prise au piège de sa tour d'ivoire et tentant de combler sa solitude avec des aventures extraconjugales ; il m'est difficile de m'identifier ou d'être en empathie face à ce type de situations. Sauf que ce couple, comme tous les autres, ne pourrait être réduit à une dispute balancée sans contexte lors d'une énième journée de procès. C'est une relation complexe, teintée de sentiments contradictoires, et il est impossible d'en tirer une représentation fidèle en se basant sur une poignée d'exemples triés sur le volet.


Anatomie d'une Chute montre ainsi la difficulté à établir une vérité à partir d'éléments épars, forcément ré-assemblés, interprétés, voire sur-interprétés, dans le but d'étayer une explication qui ne peut être qu'hypothétique. Que l'on défende l'hypothèse du meurtre ou celle du suicide, la méthode est toujours la même. C'est à qui manipulera suffisamment bien les faits pour convaincre le jury du bien-fondé de sa vérité. Et il est d'autant plus facile de faire adhérer le public à son histoire, lorsque celle-ci incrimine une femme indépendante, ayant le malheur de ne pas correspondre au moule de l'épouse modèle.


Dès le second rapport d'expertise sur les projections de sang, j'ai commencé à pencher sérieusement en faveur de l'accusée et la suite n'a cessé de me conforter dans cette idée, tant les arguments de l'accusation me semblait de plus en plus fallacieux. Toutefois, si le scénario nous laisse suffisamment d'indices pour prendre le parti de Sandra, à aucun moment, la mise en scène ne fait de même. Continuant de filmer avec froideur le déroulement des audiences et nous empêchant par la même d'être en empathie pour la veuve accusée de tous les maux. Car tant que subsiste le doute sur sa culpabilité, il est impossible de s'autoriser à ressentir quoi que ce soit à son égard. Trier incite alors son spectateur à observer l'affaire comme ceux qui la juge, avec froideur et impartialité. Ce parti-pris nous place certes à distance des personnages, mais s'avère payant sur le long terme. En particulier lors du dernier tiers, lorsque l'enfant demande à être à nouveau entendu par la juge et que personne n'est alors en mesure de prédire la teneur de son témoignage.


C'est cet aspect précis du film qui lui permet de tirer son épingle du jeu, bien plus que l'efficacité de son rythme ou l'extraordinaire performance de son casting. Je lui pardonne même pour cela une réalisation un peu faiblarde, parasitée par des effets un poil trop kitch, superflus ou mal maîtrisés.

Créée

le 3 sept. 2023

Critique lue 108 fois

8 j'aime

Alfred Tordu

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8

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