AMERICAN HONEY épouse le point de vue de Star, jeune femme à peine sortie de l'adolescence qui fuit une famille dysfonctionnelle lorsqu'elle croise la route de Jake (Shia Labeouf) et sa bande de vendeurs boutonneux. Il lui propose un "vrai" travail, de quoi faire une croix sur son passé et retrouver espoir dans l'avenir. Et puis Jake lui plaît bien. Andrea Arnold révèle peu à peu les règles et mécanismes de cette communauté itinérante. Loin d'être une simple bande d'ados paumés sur les routes, la petite entreprise menée par Krystal, une bimbo effrayante se révèle être de fait un mini-état totalitaire au capitalisme sauvage. Krystal exige des membres de sa tribu qu'ils vendent en porte-à-porte des magazines, bien qu'elle soit très consciente que "plus personne n'en lit." A chacun de s'inventer un personnage pour réussir à persuader le client potentiel des bienfaits que lui apporterait cet achat. Les ados n'hésitent pas à raconter des cracks ("mon père est mort en Afghanistan") pour dépenser illico leur part du butin en drogues dures et alcools forts qu'ils ingèrent au petit-déjeuner. La despote de cette bande encourage ces pratiques, afin de garder sous sa coupe ces ados en manque de repère le plus longtemps possible. Brimades verbales et physiques ajoutent à ce système un volet répressif qui lui assure qu'ils fileront droits et resteront motivés à travailler.


Star se singularise des autres en refusant d'employer le baratin de vendeur que tente de lui apprendre Jake. Elle croit, naïvement, qu'en étant elle-même et à l'écoute d'autrui, elle réussira à vendre ces magazines. Le film essaye d'être le plus en phase possible avec son personnage principal et oblige le spectateur à éprouver tout ce que Star endure. Son empathie nous est également montré dans le traitement qu'elle réserve au moindre animal ou insecte qui croise sa route. Les 2h40, le côté répétitif de certaines scènes et l'insistance à ne jamais poser une caméra, ni à pouvoir faire le point plus d'une minute sans effet de flou renvoie à l'instabilité émotionnelle de Star. Ce procédé conduit à soit rejeter en bloc le dispositif, soit adhérer totalement au road-trip de la jeune femme. Si, sur le papier, je serais partant pour un tel voyage, l'expérience se révèle selon moi déceptive.


Il est théoriquement difficile de reprocher au film de "prendre son temps" ou d'être "excessivement long", puisque la réalisatrice essaye de nous montrer l'énergie nécessaire à l'empathie de Star envers les autres (les clients, les animaux et les ados) mais aussi ses résultats, infimes. Cependant, en ne sortant jamais d'un tel dispositif, le propos devient vite, comme son personnage principal, d'une triste naïveté. Incapable de transcender sa situation initiale, Andrea Arnold s'enlise dans les variations d'un même thème. En fonction de la qualité de son inspiration, telle scène sortira du lot mais n'ajoutera jamais un sens plus large au reste du film.


Ses 2h40 sont donc éprouvantes, et le montage frénétique de plans shaky camera ou la constante hystérie des personnages n'adoucissent pas l'expérience. On sent bien que la réalisatrice a du mal à terminer son film. A la fois, elle refuse de livrer au spectateur un dénouement scénaristique, mais surtout enchaîne trois séquences musicales déconnectées les unes des autres, comme trois conclusions lambda parmi lesquelles elle n'a pas réussi à choisir et qui auraient pu être autant de séquence pré-générique.



« Le propos d'American honey devient vite, comme son protagoniste, d'une triste naïveté »



Fish tank souffrait également de ce syndrome "tout ça pour ça ?" ; Bien qu'il soit politiquement incorrect d'accuser Andrea Arnold de choisir la facilité en nous plongeant une fois de plus dans la misère sociale de ses personnages, on ne peut s’empêcher d'être fatigué par la simple description de ce milieu prolétaire... surtout pendant 2h40.


Avec un début très fort, l'énergie que déploient Andrea Arnold et son personnage ne suffit pas à maintenir notre intérêt. La réalisation caméra à l'épaule et le montage sans respiration ne pallient pas à l'ennui qui s'installe progressivement. Ces choix donnent davantage l'impression de vouloir compenser les non-événements qui s’enchaînent. Plutôt que de terminer la séance avec un pincement au cœur pour la jeune Star, on s'aperçoit qu'on se fiche totalement de ce qu'elle va devenir. Un comble pour un film qui prône l'empathie...


Par Thomas, pour Le Blog du Cinéma

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le 1 févr. 2017

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