Caméra à l’épaule et souvenirs en tête, Andrea Arnold est partie aux États-Unis se frotter au rêve américain (qui, depuis longtemps, ne ressemble plus à grand-chose, des maisons en ruine, des yeux pour pleurer, des canapés défoncés au crack) et au mythe du road movie hérité de Kerouac et de la route 66, celui des highways et des motels, des décapotables et des tubes à la radio, des grands espaces et des perditions, celui des révélations aussi d’où surgirait un autre soi, un vrai soi. Pour ça elle a une tribu, elle a sa meute (cris de loup, danse dans le feu, combat animal…), de jeunes filles et jeunes garçons parcourant le Midwest pour vendre des magazines à qui voudra, routiers, mères au foyer ou cowboys plein aux as.


Moins trash que chez Larry Clark (mais tout aussi sexué) ou les premiers Harmony Korine, American honey accompagne cette jeunesse en marge à travers une Amérique exsangue, agitant sous nos yeux des quasi lieux communs dès qu’il s’agit de montrer, de sublimer le bel âge, ce bel âge affranchi de tout : drogue et alcool, sexe et liberté, et une certaine beauté du monde prise dans les rayons du soleil jouant (évidemment) à travers les arbres ou dans le reflet des vitres de voiture. Délayés dans un format carré (qu’Arnold affectionne depuis Fish tank), un soundtrack affolant et une mise en scène sensitive, très charnelle, ces codes sont comme détournés de leur banalité et formeraient ici une sorte de synthèse définitive, le b.a.-ba (en attendant le prochain Clark, forcément).


Arnold colle à la peau de ses teenagers héroïques et beaux, elle les exalte, elle les hume (cette odeur de eux), les suit dans leur périple improbable, et si leur trajectoire immédiate semble à peu près tracée (aller de ville en ville, d’État en État, de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel), leurs trajectoires personnelles sont plus confuses. On les devine plus mystérieuses, plus difficiles peut-être, et les amenant jusqu’ici, dans ce van à toute allure sur l’asphalte. Violences familiales, délinquance, précarité ? On ne saura pas, et peu importe, mais sur le visage triste de la frêle Pagan paraît se lire une enfance tout sauf rose.


Et puis au milieu de ce bazar qui vibre de rap, de fucks et de déhanchements, les sentiments déboulent soudain quand Star (Sasha Lane, incandescente découverte), la petite dernière arrivée dans la bande, et Jake (Shia LaBeouf, quand même l’un des acteurs les plus surprenants d’aujourd’hui), le super vendeur super tombeur, s’éprennent l’un de l’autre. Ils sont là, amoureux fous, sur ces routes vers nulle part et point central de ce petit monde recomposé comme une forteresse, une protestation, une parodie aussi, parodie du monde du travail (des règles strictes à suivre) et du libéralisme le plus bâtard (de l’argent à ramener tous les soirs, avec sanctions pour le moins émérite).


C’est dans cette restructuration chaotique que Star tentera de construire le sien (fait d’enfants et de grande maison), sans règles ni mesure, furieusement. Quand Jake, autour des flammes, lui offrira une petite tortue qu’il viendra déposer entre ses mains, c’est toute la symbolique de création du monde (au son de God’s whispers de Raury, on en peut pas faire plus parlant) qui s’imposera comme principale lecture du film (la tortue, dans la culture amérindienne, contribue par sa sagesse à bâtir le monde), et parce que Star, surgissant de l’eau à la fin telle une (re)naissance, s’émancipera donc des règles et des mesures, sans plus rien attendre de qui que ce soit pour ériger son monde, le sien à elle fait d’enfants et de grande maison. En gros : une étoilé est née.


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le 15 févr. 2017

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