Que les déçus de Prometheus passent leur chemin : Ridley Scott refuse de lâcher la nouvelle direction qu’il confère à son bébé. Préquelle parfois maladroite, Alien : Covenant explore malgré tout de nombreux thèmes chers à la célèbre saga, et oppose le xénomorphe, très physique, à une certaine prise de distance intellectuelle.


On a l’impression que Ridley Scott se fait plaisir. Il semble développer tout un pan de mythologie autour de son film iconique de 1979, notamment sur cette fameuse planète que des contraintes budgétaires l’avaient empêché d’explorer comme il le souhaitait à l’époque. Notre cinéaste cabochard a décidé qu’Alien : Covenant ferait le lien entre Prometheus et la saga Alien, parfois au prix de toute cohérence. Nous revoilà donc dix ans plus tard sur LV-223 en compagnie d’un équipage au comportement aussi irresponsable que celui du Prometheus – mais amplement plus sympathique aussi, heureusement – et d’un androïde incarné, une fois de plus, par Michael Fassbender. La lassitude est complète lorsque aucun des membres, entraînés depuis des années, ne semble vouloir respecter la moindre prudence : comme dirait l’un d’entre eux “j’emmerde le protocole”, avant de violer allègrement la quarantaine qui aurait pu sauver quelques vies.


Scott aime ses héroïnes fortes, mais Katerine Waterston fait pâle figure après une Ripley qui nous manque décidément beaucoup trop. Reste Michael Fassbender, réel personnage central de ces nouveaux films, qui mérite une mention honorable ne serait-ce que pour la complexité de son personnage qui nous fait nous demander si le thème d’Alien au global n’est pas, au final, ce dont notre part d’humanité nous rend capable.


On sent pourtant, et surtout dans le dernier tiers du film, une vague volonté d’inscrire Alien : Covenant dans la continuité graphique et temporelle des films que nous avons connus. Les lignes anguleuses et métalliques du Covenant rendent hommage à son hypothétique successeur Nostromo, et nous aurons une pensée pour Aliens de James Cameron lorsque ronronnent dans ses hangars des machines striées de jaune. Mais surtout, le film emprunte au hardi et mal-aimé Alien : Resurrection ses transgressions perverses, son horreur issue de l’interdit. Ridley Scott confère à ce nouvel opus une sexualité aussi déviante que violente, comme si la créature embryonnaire de Prometheus atteignait sa maturité en même temps que son but d’embrasser le film d’origine. L’ombre de Giger, désigner de génie, bien qu’éloignée, plane encore.


La quête de la créature parfaite par tout esprit malade, épris d’un délire créationniste, n’a pas fini de traverser les époques de la saga et demeure ici un thème omniprésent. Et en termes de créatures, bien que la cohérence en pâtisse encore, nous sommes servis ; c’est une des qualités d’Alien : Covenant qui n’est pas avare de scènes horrifiques ni de bestioles en tous genres. Les puristes du cycle de vie xénomorphien vont encore s’arracher les cheveux ; il faut dire que depuis Prometheus, on s’y retrouve de moins en moins.


La deuxième qualité d’Alien : Covenant, et ce qui sauve partiellement le parti-pris de Scott, est que le film creuse encore de nombreuses thématiques qu’on retrouve dans presque tous les films Alien. Le parallèle entre différents protagonistes, qu’ils soient savant à moitié fou, androïde trop idiosynchratique ou Ingénieurs, obsédés par la création de leur propre œuvre juste parce qu’ils en ont le pouvoir, ramènent l’humanité à ses propres dérives, comme un avertissement à quiconque se penserait plus fort que la nature, ou même Dieu. Ridley Scott multiplie d’ailleurs les allusions religieuses, à commencer par le nom de son nouveau vaisseau. “J’aurais adoré explorer davantage la fiction spéculative avec Alien, mais ça aurait été une digression”, affirmait-il il y a quelques années ; il semblerait qu’il soit en train de changer d’avis.


Au final, Alien : Covenant se révèle paradoxalement aussi bâclé (personnages souvent mal exploités) mais bien plus travaillé (au niveau de l’ambiance et des thèmes sous-jacents) que Prometheus. Une œuvre qui contribue à tisser une forte mythologie autour de la saga Alien mais s’éloigne résolument du tout premier film. Les nostalgiques devront s’y faire ou lâcher prise : Ridley Scott a tourné la page.

Filmosaure
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le 7 mai 2017

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