Venu au cinéma par le théâtre, Alain Resnais sort de scène avec l'élégance qu'on lui connaît. Aimer, boire et chanter est une fantaisie, un film de plaisir, de jeu, un truc de gosses.

Film testament par défaut, bien plus réussi que le précédent, l'ultime bricolage du plus grand cinéaste français de ces 50 dernières années, celui à qui le cinéma moderne doit tant, celui qui fut toute sa vie un artisan, un véritable artiste, jamais un poseur ni un théoricien, Aimer, boire et chanter sonne comme la somme de tous les amours du cinéaste.

On y retrouve le goût du théâtre donc, du verbe, du décor, du faux devenant vrai, magnifié encore par les influences du cartoon, brouillant sans cesse les codes, dé-théâtralisant le texte lui-même, dessinant des vignettes, des fonds de scène insensés, mêlant avec audace et liberté prises de vue naturelles, dessins, inserts, pendrillons colorés tout droit sortis d'une toile de Braque ou de Matisse, dans une œuvre lumineuse et joyeuse, un vaudeville amoral [Resnais n'est jamais moral], une ode à la jeunesse et aux plaisirs, à l'amour évidemment.

On sourit, on rit, on est aux anges. C'est rien, trois fois rien, une bricole, un plaisir simple, un cadeau. C'est juste le bonheur de voir une taupe sortir la tête de son trou, Tamara balancer à Kathryn "on n'est pas au théâtre", Simeon déclarer "je préfère le ciné", Kathryn demander à Colin s'il a "fait les horloges". Troisième adaptation d'Ayckbourn après le génial Smoking/no smoking et le délicieux Cœurs, Aimer, boire et chanter clôt de la plus belle manière la carrière de Resnais.

Si l'œuvre du cinéaste n'est pas que légère, si son obsession de la mort, de la vie ratée, des faux semblants, est présente tout au long de sa filmographie, on la retrouve ici aussi, en retrait, dans l'ombre, jusqu'à la scène finale. Aussi drôle mais moins sombre que Providence, jouant tout autant de l'image des personnages, comment on se voit, comment on est vu, illustrant sans fard les petites mesquineries humaines, Aimer, boire et chanter résonne bien au-delà de la simple farce.

Le casting est parfait. Sabine Azema prouve qu'elle n'excelle que dans la fantaisie, André Dussollier, Michel Vuillermoz et Hippolyte Giradot composent un trio masculin au top, tandis que Caroline Silhol et la nouvelle [et dernière] venue Sandrine Kiberlain sont brillantissimes.

Merci Monsieur Resnais.
Merci pour tout.
pierreAfeu
8
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le 2 avr. 2014

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pierreAfeu

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