Clap de fin pour la trilogie de Fabrice du Welz autour des Ardennes belges. Après Calvaire et Alléluia, Adoration débarque comme étant un film moins subversif mais tout aussi excessif !



L’amour fou et passionné ! Telle est la thématique qui lie et hante cette trilogie des Ardennes belges entamée il y’a un peu moins de quinze ans par le cinéaste belge Fabrice du Welz. Adoration vient donc conclure cette exploration, qui tout en conservant une violence et une ambiguïté qui sont des thèmes inhérents au cinéma de du Welz, offre, ici, une tendresse et une légèreté inédite.
Paul est un jeune garçon simple (dans le sens dostoïevskien) vivant seul avec sa mère, infirmière dans un hôpital psychiatrique. Gloria, jeune fille du même âge, à la personnalité et au passé trouble, est internée dans cet établissement par son oncle. Les deux pré-adolescents vont très vite se fréquenter et sympathiser l’un avec l’autre bien que cela leur soit interdit par la directrice et la propre mère de Paul. À la suite d’un événement, Paul et Gloria s’enfuient de l’hôpital pour une cavale dans les Fagnes sauvages.
Ce postulat de départ va très vite nous amener à ce qui intéresse le cinéaste et le poursuit depuis le début de sa carrière : la quête de l’absolu. Ces deux enfants vont, à travers ce périple, se prouver à chacun un amour inconsidéré et omnipotent qui va les transformer et les mener à s’abandonner l’un à l’autre dans un cadre tellurique en phase avec leurs émotions. Le traitement prescrit par du Welz est âpre et envoûtant ; les passions qui lient nos deux protagonistes se mêlent parfaitement à ce cadre de jardin bocager, insufflant au métrage une poésie romantique. Quant aux séquences oniriques, bénéficiant entre-autre de compositions musicales particulièrement inspirées, elles instillent une dimension quasi mystique à cette recherche de l’harmonie absolue. Une harmonie qui est mise à mal par le personnage de Gloria, interprété de manière remarquable et stupéfiante par Fantine Harduin, qui souffre de troubles psychologiques la rendant imprévisible. Paul (impressionnant Thomas Gioria) jeune garçon candide et sensible apporte une certaine douceur qui vient calmer les ardeurs de la petite Gloria. Cette relation, tout en contraste, offre des instants gracieux dont y émanent une touchante innocence pleine d’incrédulité et d’angélisme. Du Welz dépeint ce duo tout en nuance, apportant ce qu’il faut de fragilité, de sensibilité, de violence sans jamais rendre la relation claudicante ou indigeste. A ce titre, le personnage de Benoît Poelvoorde est également une belle prouesse d’écriture. En révélant seulement quelques bribes de sa personnalité, le réalisateur tire un portrait tragique et mélancolique d’un homme rongé par la solitude mais au combien bienveillant. Poelvoorde, malgré peu de temps à l’écran, compose ce personnage avec une retenue et une finesse sidérante.
A force de trop peaufiner ses personnages et d’écailler la thématique centrale de son film, du Welz oublie par moment de donner un peu de corps à son scénario qui manque de conflits et de surprises pour relancer l’intérêt du spectateur ; pas que le récit en devienne lassant mais le rythme en pâtit à certains instants. La trame narrative assez conventionnelle aurait mérité plus de variations et de tensions dans sa déclinaison. Le metteur en scène troque une intrigue tisonnée pour une narration plus portée sur le sensoriel et les émotions.
Néanmoins, la mise en scène et le 35mm constituent des éléments supplémentaires pour venir atténuer ces quelques irrégularités. Le travail du chef opérateur Manu Dacosse et son équipe est remarquable. Le film est techniquement et visuellement très ambitieux et les expérimentations proposées par du Welz et Dacosse sont totalement abouties. Les séquences nocturnes sont parachevées avec une maîtrise et une lisibilité saisissante tandis que les séquences plus contemplatives dégagent une esthétique très marquée sans être trop outrancières. Le grain de la pellicule qui donne à l’image un côté extrêmement organique et authentique est renforcé par une caméra amovible et proche des corps. Le cinéaste aime filmer ses deux acteurs, leur fougue, leur jeunesse, leur pureté, leur insouciance mais également la nature qui d’un plan à l’autre se révèle sous différents visages. Cet équilibre visuel cohérent indique une indéniable faculté que du Welz a à digérer ses influences et les genres cinématographiques.
Le belge peut aussi compter sur de solides partitions musicales planantes et hypnotiques créant des instants de pur envoûtement. Elles se présentent sous différents styles, passant de fredonnements entêtants à des nappes magnétiques ou par quelques notes de piano ; ces compositions sonnent comme un appel aux passions, un cri du cœur ensorcelé par des sentiments qui nous dépassent, un chant romantique qui dévore notre chair dans ses pores et ses moindres espaces, pour clamer haut et fort son ADORATION.



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le 18 janv. 2020

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