Il n’est pas question de diviser pour régner dans l’éternel souvenir, mais de diviser pour mieux rapprocher. Le deuil est un passage éprouvant, que Maïwenn aborde avec une certaine sensibilité et une proximité qu’on lui reconnaît. Et pourtant, suite à son envol après « Le Bal des actrices », la réalisatrice s’accorde une liberté nerveuse dans l’approche de sa quête identitaire et son retour aux sources. Quelque chose lui échappe, car bien qu’elle soit toujours prometteuse, elle perd peut-être le souffle qui rendait ses œuvres vivantes et organiques. Ici, il faudra patienter un moment et se laisser distraire par le dysfonctionnement familial pour se rendre compte qu’il y aura peu à récolter. Cela vaut pour la sensibilité de chacun, mais une approche plus spirituelle sera requise afin de saisir le recul nécessaire, auquel l’autofiction nous invite.


Lorsqu’Emir, le pilier paternel de la famille, s’éteint soudainement, la douleur répond instantanément aux proches. Chacun, à sa manière, puisera dans ce qui les rapprochait de cet être exceptionnel, qui grâce à son existence, son parcours et son énergie, laisse un lourd testament culturel. C’est ce que le personnage de Maïwenn, Neige, entrevoit dans sa vision du deuil et le respect de l’homme qui l’a élevé. Emir constitue ainsi un pivot et un message qui pousse sa divorcée de fille dans une crise existentielle, qu’elle développe notamment à travers une crise alimentaire. Il n’y a plus que le voyage vers ses racines qui l’obsède, à tel point que son thé à la menthe finira par empoisonner son esprit et son mode de vie. Les liens familiaux deviennent alors l’un des enjeux majeurs du récit, où se succèderont retrouvailles, conflits et réparations. En restant fidèle à ce schéma, il y a de quoi alléger toute la surcharge émotionnelle d’une famille qui se détourne de l’esprit collectif, afin de mieux répondre à la problématique identitaire, propre à chaque individu.


Le film se penche généreusement sur la question, mais au profit d’une seule personne, Neige. Cette direction pourra en irriter plus d’un, car on la confondrait avec un égocentrisme mal placé. Si l’on se sentait un minimum impliqué dans cette soif de savoir, il y règne une atmosphère trop lisible et trop prévisible. Le calme avant la tempête et de l’humour pour gérer la pression. Les personnages de Caroline (Fanny Ardant), Lilah (Marine Vacth) et François (Louis Garrel) témoignent de ces caricatures et la plupart fonctionnent à merveille. C’est donc dans le choix d’isoler son héroïne que la réalisatrice manque sans doute de lucidité et de pertinence. En évinçant rapidement une partie des proches, la continuité prend un sévère coup de mou, notamment après des obsèques mouvementées. La fameuse croisade de Neige reste donc superficielle jusqu’à ce qu’on atteigne un dénouement attendu et poncé, dans l’intention de ponctuer ce qui lui a échappé tout ce temps. Ce qui la relie à ses racines ne se trouve évidemment pas dans la génétique, mais dans les liens du cœur et de l’esprit, justifiant ainsi l’exil libérateur, qui aurait mérité un acte plus complet et moins banal.


Il reste donc un sentiment d’inachevé dans cette fâcheuse démarche, qui appelle aux sentiments que l’on refoule et qu’on pourrait laisser exploser tôt ou tard. La question universelle de ses origines est indéniablement salvatrice et ludique, mais il manque un chaînon dans cette intrigue qui ne panse qu’à moitié cette douleur qui hante Neige et Maïwenn. Sacrifier ses liens familiaux mériterait plus qu’une parenthèse symbolique et brève. Ce que l’on extirpe de cette aventure intimiste, c’est tout de même la positivité de la réalisatrice, accompagnée de son co-scénariste Mathieu Demy, qui partagent un sentiment d’une grande pureté, mais qui trébuchent dans la transposition. Ainsi, « ADN » n’est probablement pas le plus abouti de ses œuvres, mais aura néanmoins l’honneur de susciter de l’intérêt dans un début d’introspection.

Cinememories
4
Écrit par

Créée

le 17 nov. 2020

Critique lue 466 fois

2 j'aime

Cinememories

Écrit par

Critique lue 466 fois

2

D'autres avis sur ADN

ADN
JoRod
7

L'art de la vitalité

Cinq ans après Mon Roi, Maïwenn retrouve le chemin de la réalisation avec ADN. Un drame intimiste, sobre et très personnel, qui questionne le deuil et la quête des origines dans la France...

le 21 sept. 2020

18 j'aime

ADN
Cinephile-doux
7

Naguère d'Algérie

Maïwenn pratique l'auto-fiction depuis ses débuts mais y insère des éléments de fiction, comme certains écrivains, plus ou moins imbuvables d'ailleurs (Angot). Son sujet de prédilection, c'est la...

le 28 oct. 2020

16 j'aime

ADN
Baron_Samedi
3

Lave ton linge sale en famille

ADN : Emir est un grand-père qui a connu la guerre d'Algérie, et autour duquel toute la famille trouve du réconfort. Lors de son décès, le ciment familial s'effrite, et le choc déclenche chez Neige...

le 11 janv. 2021

15 j'aime

Du même critique

Buzz l'Éclair
Cinememories
3

Vers l’ennui et pas plus loin

Un ranger de l’espace montre le bout de ses ailes et ce n’est pourtant pas un jouet. Ce sera d’ailleurs le premier message en ouverture, comme pour éviter toute confusion chez le spectateur,...

le 19 juin 2022

22 j'aime

4

Solo - A Star Wars Story
Cinememories
6

Shot First !

Avec une production et une réalisation bousculée par la grande firme que l’on ne citera plus, le second spin-off de la saga Star Wars peut encore espérer mieux. Cela ne veut pas dire pour autant que...

le 23 mai 2018

19 j'aime

2