Il y a des films de guerre qui, malgré leur réalisme, ne se plongent que trop peu dans la psychologie du soldat et plus encore sur l'objet métaphysique de la guerre, sa morale profonde, encrée non seulement dans l'histoire mais dans la nature. Ici pas d'esthétisations du conflit comme on peut le voir dans un 1917 où des soldats valeureux, combattent un "ennemi éternel". Non. Ici tout est misérable et potentiel rouage de l'industrie de la mort.

"A l'ouest, rien de nouveau" est le récit iconique, voir iconographique du jeune soldat rêvant de mythes wagnériens, du roman national, des chevaliers sans peur, de l'élan hégémonique d'un souverain, voulant rendre fier sa famille. Il y découvre alors la fin du monde, de l'humanité et de la nature.

La désillusion n'a jamais été aussi bien mise en scène que dans les différentes adaptations du livre de Erich Maria Remarque (1930 et 1979), tant la violence des scènes y est totale sans être jamais superflue.

La première scène marquante est sans doute celle de l'arrivée sur le front qui est doublée de scène montrant la logistique du retour des cadavres. Les corps sont transportés, étiquetés, lavés, mis en boite et rapatriés. Les uniformes sont dénudés, lavés et réattribués. La froideur de la mise en scène va de paire avec la musique de Volker Bertelmann, entrainante et mystérieuse dans un premier temps, elle deviendra de plus en plus langoureuse et saccadée au fil du récit.

-Je vais revenir principalement sur les deux arcs différents ici du livre ou des deux autres adaptations:

- Temps longs et instantanéité: Le film oppose, dans la colorimétrie, les manières de saisir l'action "naturelle" par ses longs plans sur des valons arborés (surement ardennais), récurrents et qui s'opposent à la dynamique des plans d'actions du film montrant la diversité macabre du no man's land. Cette opposition apparaît d'autant plus dans la scène ou le soldat Katczinsky, s'enfonce dans les bois. Contemplant l'immuabilité du vivant qu'il s'en dégage, il ne verra pas le fils d'un fermier français approcher, et se fera abattre, perpétuant ainsi le cycle de la vengeance.

Ce dualisme se ressent aussi dans la lenteur de l'arc de Compiègne, opposant Matthias Erzberger et le Maréchal Foch, repoussant incessamment la date de l'armistice.

- L'Analogie de la Schizophrénie de la guerre: Comme Les Sentiers de la gloirela rhétorique du général belliqueux, amoureux d'honneur et de récits chevaleresques est très présente. Ainsi on suit le commandement de la tranchée du général Friedrichs, recevant dans un château en arrière du front, blâmant ses hommes et les envoyant dans des attaques suicides pour son propre intérêt.

Paul lui même passe par différents stades de schizophrénie, tuant quand on lui dit puis terrorisé par la mort qu'il vient d'assené en la constatant de près. Les regrets s'accumulent de plus en plus au fur et à mesure que ses camarades et ses ennemis tombent au combat. Ses amis étant les seules choses qui le raccrochait de l'humanité, la mort de Katczinsky marquera un tournant. Il incarnera alors l'Allemagne vengeresse et décérébrée qui décide d'un dernier assaut à quelques minutes de l'Armistice.

- L'iconographie et la lumière: Le rythme des scènes de logistique, un fordisme de la guerre, les char Saint-Chamond, figures monolithiques rompant les tranchés sans résistance, la lumière des lance flammes réfléchis dans la brume. Ce film est un catalogue de plans rapportant à des univers mythologiques: apocalypse biblique, néopaganisme et Ragnarök (littéralement Consommation du Destin des Puissances) sans pour autant le glorifier: tout ici est le fait de l'industrie.

La dernière scène ou Paul, mortellement touché, remonte d'un abri français alors que résonne les cloches de l'Armistice. Le plan en contre plongée de dos, est juste parfait.

Pour finir: le film a souvent été (à très mauvais titre) jugé comme peu historique ou comparé à "qui veut sauver le soldat Ryan" . Dans les deux cas ils jugent l'esthétique et la technique du film, certes il y a des scènes de tranchés à une époque qui était plus prompte à la guerre de mouvement, c'est 60% du film. Pour ce qui est du film de Spielberg, comment reprocher à un film d'avoir des scènes d'assaut dignes du soldat Ryan...

Bref Jetez vous sur ce film, en espérant une ressortie Cinéma un jour ahah !

A voir absolument (avec un bon moral cela dit ^^) !

HerRob
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le 20 déc. 2022

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