Du nouveau…
Bien malgré lui, le titre de ce film amène à se poser cette fatidique question : sur la Première guerre mondiale, que reste-t-il encore à dire ? Que reste-t-il encore à montrer ?
Alors il est vrai qu’on pourrait poser ce type d’interrogation pour tout type de film tout comme sur tout type de sujet mais, dans les faits – du moins en ce qui me concerne – je ne peux m’empêcher de considérer que ce constat est tout particulièrement vrai pour les fictions qui entendent s’installer au front de la Grande guerre.


Parce que l’air de rien, plus se rapproche-t-on du front, et plus ce conflit a tendance à enfermer ses protagonistes dans des conditions cadenassées ; conditions qui sont autant d’entraves pour tous les potentiels héros qu’elles le sont aussi pour les possibilités d’intrigue.
Quelque soit l’endroit, quelque soit la période, c’est toujours plus ou moins le même théâtre et les mêmes situations : les tranchées, les massacres, l’insalubrité, la faim, l’absurdité du conflit, la cruauté de la hiérarchie…
Du coup – et c’est terrible à dire – mais au regard de tous les films déjà sortis sur le sujet, on serait clairement en droit de se demander tout ce que nouveau prétendant pourrait proposer de nouveau…
…Et à ce niveau-là ce n’est malheureusement pas le début de cet A l’Ouest, rien de nouveau qui a été en mesure de m’apporter des éléments probants.


Il est pourtant plus qu’honorable ce début de film – aussi bien techniquement que narrativement – et cela je le concède volontiers à Edward Berger, son auteur… Seulement, difficile de ne pas voir dans chaque effet mobilisé une reprise, un clin d’œil ou une inspiration provenant d’œuvres antérieures traitant plus ou moins du même sujet…
…Un constat qui peut d’ailleurs aussi être valable pour tout ce qui suit l’introduction ; comme c’est le cas par exemple de la présentation qui est faite de cette jeunesse naïve qui part au front la fleur au fusil ; ou bien comme ça sera aussi le cas quand viendra le moment de montrer la boucherie, la perte d’espoir et la déliquescence de l’être…


Malgré tout – et à ma grande surprise – il me faut bien reconnaitre qu’à quelques reprises, le film d’Edward Berger a su capter mon intérêt. Certes la naïveté de Paul et de ses camarades est un brin appuyée, mais d’un autre côté elle permet de produire un effet de contraste avec la mécanique de guerre qui se montre implacable de cynisme.


Je pense notamment à cette scène de l’uniforme récupéré sur le cadavre d’Heinrich, lavé, raccommodé, puis remis à un Paul qui s’étonne innocemment de la présence d’une étiquette dans sa veste.


Idem, on a beau être rodé aux scènes de massacres que ce film parvient malgré tout à y apporter sa touche – et assez tôt en plus – pour briser le mur de l’indifférence.


En l’occurrence je pense ici à la scène de ramassage des plaques militaires ; geste appelé à devenir mécanique et déshumanisant, jusqu’à ce que Paul marche sur les lunettes de son camarade et surprenne un peu plus loin son cadavre en charpie.


D’ailleurs, le fait que ce film se passe du côté allemand permet d’éclairer ces événements selon une approche peu commune par rapport à l’éventail d’œuvres actuellement disponibles sur le sujet. Cela permet ainsi notamment d’aborder certains points marquants du conflit selon un regard neuf.


C’est par exemple le cas de cette scène où Paul et les siens se doivent de subir leur premier assaut de chars.


Sur ce dernier point d’ailleurs, cet A l’Ouest, rien de nouveau nous offre selon moi sa plus belle contribution faite au genre, au point de justifier à elle seule le détour.


J’aurais même pu être davantage généreux à l’égard de ce long-métrage s’il avait su se faire plus subtil lors de certains de ses moments.


L’opposition Foch / Erzberger n’est pas absurde dans le fond mais un brin balourde dans la démonstration. Même chose avec ce personnage de général prussien totalement entêté…


Et puis surtout je lui aurais sûrement pardonné davantage s’il avait su se faire plus court.
En ce qui me concerne, je considère clairement que les trois derniers quarts d’heure sont de trop. Car même si – comme la scène d’intro – ces trois quarts d’heure sont globalement honorables – leur caractère redondant par rapport à ce qui a déjà été montré fait perdre, selon moi, de la portée à ce final…


…Et c’est dommage car qu’à mes yeux, ce dernier segment, c’est vraiment une occasion manquée. Il avait là-dedans suffisamment d’éléments qui, montrés autrement, aurait pu renverser toute la donne.
Parce que, pour ma part, sitôt l’intrigue bascule-t-elle vers le début de la grande débâcle…


…A partir de la scène d’assaut au char justement…


…Je trouve qu’il se met à flotter dans ce film une atmosphère proche de celle d’un Requiem pour un massacre. Or si Edward Berger s’était engagé sur cette voie-là – c’est-à-dire sur la voie d’une radicalité profonde dans le sentiment de déshumanisation et d’enfer – il aurait créé un effet de contraste avec les conventions honorables mais attendues du début, générant un vrai crescendo qui – pour le coup – aurait donné une identité vraiment forte à ce film… Une sorte de Fury « climovesque » donnant à voir cette fin de conflit comme une conclusion qu’on sait proche mais tarde à chaque fois à venir ; donnant l’impression d’une descente aux enfers d’autant plus ignoble qu’elle semble superflue.
Il y avait pourtant de quoi faire dans ce dernier segment pour aller sur cette voie-là…


Je pense notamment au suicide de Tjaden, à la mort de Kat ou bien encore à cette décision écœurante d’assaut final pour l’honneur : autant de scènes qui, sur le papier, font leur effet…


…Mais malheureusement, il demeure dans la réalisation de Berger une mesure de fixée qui, au regard du spectateur que je suis, a vraiment fonctionné comme une bride.


Aussi suis-je ressorti donc de ce film mi-figue-mi-raisin.
Certes il se révèle formellement honorable mais il reste trop souvent attendu.
Il n’est pas impertinent non plus dans ce qu’il raconte, mais il peut parfois lourd dans sa démonstration.
Enfin il sait offrir quelques bons moments forts et singuliers – et c’est tout son mérite – mais malheureusement tout en les diluant dans un ensemble trop étiré et/ou trop sage.


Au final, A l’Ouest, rien de nouveau aura peiné à faire monstre de nouveauté, ce qui est tout de même fâcheux dans un genre aussi fermé et codifié.
Après on pourra toujours me rétorquer qu’on ne devrait pas se surprendre d’une telle forme de conformisme de la part d’un film qui se veut l’adaptation d’un célèbre roman de près d’un siècle et dans lequel quasiment tous les films sur la Grande guerre sont entre temps venus piocher. Soit…
Il n’empêche que pour moi le résultat reste le même : découvrir cet A l’Ouest, rien de nouveau en 2022, quand on a déjà pris la peine de fureter sur le sujet, c’est certes honorable, mais ça n’en demeure pas moins convenu au bout du compte.
Or s’il n’est certes jamais désagréable de croiser la route d’un film qui sait se défendre avec honneur, il n’en reste pas moins dommage qu’il pêche d’audace quand il s’agit de peindre l’horreur…

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le 12 nov. 2022

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