Comment déconstruire la ville, pour mieux la rêver

De l’enfance à la retraite, la prose du jeune Pialat déambule dans les banlieues parisiennes des années soixante. L’industrie s’est tue, l’endoctrinement belliciste s’est tu, la campagne se meurt, que reste-t-il ? L’amour ?

Nous sommes alors emportés pendant vingt minutes dans un récit détaillé, sociologique voir sémiologique d’un Paris qui commence à inégalement se défigurer.

Se dessine alors un portrait complexe de la ville, entre le rythme pendulaire et la lutte contre les flammes d’un bidonville, entre les barres et les tours qui poussent au milieu des friches et des gares abandonnées ; entre les ruines de châteaux arasées et les champs du vieux Pantin ; entre l’humanité des villages devenant des villes et le cynisme des boulevards parisiens. Mais face à l'indifférence ou au passif de ces hyperlieux, une chose grandit et nourrit malgrès-eux, nombre de banlieusards; une production nivelée, une architecture normalisée.

Une Modernité décérébrée

Pialat nous présente toutes les beautés et tout les ennemis d’une époque. Il montre les vices d’un modernisme décérébré répandant une architecture standardisée ; où les fenêtres n’apporte que de la lumière, où les terrains de jeux n’amusent plus les enfants, ils préfèrent le terrain vague qui le jouxte.

Il montre aussi comment certains, faisant fi de l’uniforme, utilisant les délaissés du monde, aménagent des logis dans des avions, des jardins dans des gares, se baignent dans la seine. En somme il crée une ode à la complexité d’une ville qui affronte un monde qui se déshumanise, devient imperméable, peu propre à la quête du bonheur.

 Les châteaux de l'enfance s'éloignent, des adultes reviennent dans la cour de leur école, comme à la récréation, puis des trains les emportent. La banlieue grandit pour se morceler en petits terrains. La grande banlieue est la terre élue du petit pavillon. C'est la folie des petitesses.  Ma p’tite maison, mon p’tit jardin, mon p’tit boulot, une bonne p’tite vie bien tranquille.

Enfin dans cette ancienne campagne morcelée, déracinée, Pialat parle de la vieillesse, comme d’une délivrance, d’une liberté acquise trop tard à force de vivre la nuit entre deux journées de travail, quand tout est fermé. Les monuments ne montrent pas la misère ni les ténèbres qu’apporte la vie aux profits d’idéologies vaines. C’est alors qu'il montre enfin la force et le sinistre d’un pouvoir performatif qui régule la vie comme il régule les machines.

Capsule temporelle aux problèmes persistants

« L’amour existe » est un chef d’œuvre de film anthropologique, moins passéiste que révolté, qui nous pousse à faire le monde, à le voir, le décrypter, le vivre et le penser plutôt que de suivre une synergie générale qui nous amène à l’ incompréhension, à la nostalgie ou pire, à la guerre; laissant au bord du chemin la grande oubliée de l'histoire: la quête du bonheur.

Il relève tout les mythes de cette société dont certains persistent encore aujourd’hui. D’une prose pleine de volonté il nous appelle à faire mieux, à comprendre la complexité de la ville, plus qu’à la fuir et à choisir les imaginaires standards : Pialat nous invite à aimer la complexité de notre monde, à le vivre plus qu’à le subir, à le rêver autrement, surtout si il n’est pas suffisant à nos yeux.

Bref, essentiel; à voir.

HerRob
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le 3 nov. 2023

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