Blessures et amour dans l'Amérique profonde

A l’ombre de la haine (2002) est un cas pour moi. Pendant des années, j’ai refusé de le regarder parce que je pensais qu’Halle Berry, qui y tient le rôle de Leticia, une mère et épouse meurtrie, avait remporté l’Oscar de la meilleure actrice pour une raison que je jugeais mauvaise (la scène de sexe très sulfureuse qu’elle partage avec Billy Bob Thornton). Et qu’elle ait été primée la même année que Denzel Washington (pour Training Day, 2001), comme si la cérémonie avait décidé tout d’un coup de prouver son non-racisme en faisant « une pierre deux coups », peut-être au mépris de la validité des interprétations des dit.e.s gagnant.e.s, m’avait d’autant plus incité à croire qu’elle n’avait pas forcément été récompensée au talent. Mais j’avais tort. Il s’agit clairement d’un de ses meilleurs rôles ; elle est sincèrement déchirante et prouve qu’elle sait donner vie à de bons personnages quand l’accent n’est pas mis sur sa plastique.

Cela étant, le fait qu’elle reste à ce jour la seule Afro-Américaine à avoir obtenu un Oscar de la meilleure actrice est proprement scandaleux. Oui, certain.e.s Noir.e.s se sont vu.e.s décerner une statuette, mais jamais dans la catégorie « suprême » et souvent pour des rôles stéréotypés, ce qui est en l’occurrences le cas avec Halle Berry qui, à travers Leticia, corrobore le cliché de la mère abusive doublée de la tentatrice. Des acteur.rice.s noir.e.s talentueux/ses, ce n’est pourtant pas ça qui manque aux Etats-Unis : il y a Angela Bassett, Laurence Fishburne, Viola Davis, Samuel L. Jackson, Whoopi Goldberg, Morgan Freeman, Kerry Washington, Forest Whitaker, Taraji P. Henson, et j’en passe. Vraiment, c’est honteux ! Mais parlons à présent du film en lui-même.

L’histoire se déroule dans la campagne géorgienne où les destins de Leticia et de Hank finissent par se croiser.

Elle est une serveuse qui a successivement perdu son mari condamné à la chaise électrique et son fils écrasé par une voiture. Lui est celui qui a fait exécuter le mari de Leticia (sans le savoir), tenté de secourir son fils et vu son propre fils (Heath Ledger) s’ôter la vie. Que de réjouissances !

Blague à part, A l’ombre de la haine n’est pas mal. Il s’accorde à dépeindre une certaine Amérique avec émotion via des thèmes graves (peine de mort, suicide, racisme, obésité, etc.) et y arrive à un certain degré, même si ça lui donne en contrepartie un côté tire-larmes de téléfilm du dimanche.

On pourrait lui reprocher aussi de manquer de clairvoyance, ne serait-ce que dans le traitement du personnage de Hank. Quelle personne raciste – qui n’hésite pas à menacer des enfants avec un fusil – se transformerait en âme charitable du jour au lendemain comme ça ? D’accord, Hank se comporte ainsi en partie pour impressionner son père clairement reac (incarné avec brio par Peter Boyle) et gagner son amour, mais son attirance envers Leticia n’en demeure pas moins incongrue. Il pourrait être amoureux d’une Noire tout en étant foncièrement négrophobe. C’est un arc de rédemption mal fichu et moyennement recevable pour moi, car on ne sait pas bien quel jeu il joue en définitive.

Néanmoins, je trouve que Thornton et Berry ont une belle alchimie à mesure que leurs personnages se découvrent dans leurs misères respectives et entament une liaison. Les mots comme les silences qu’ils échangent ont une forte résonance, je pense notamment à cette scène dans la voiture où Hank confesse ne pas avoir été un bon père. Quant à la scène torride tant controversée, j’estime en fin de compte qu’elle a sa place dans la diégèse parce qu’elle marque un abandon de la part des protagonistes et ça les rend d’autant plus humains à mes yeux. N’oublions pas d’évoquer le regretté Heath Ledger qui est incroyable dans le rôle de Sonny, le fils de Hank. Lors d’une scène de dispute dans des toilettes, son personnage a beau rester muet face à son père violent, il dégage tellement d’énergie qu’on ne peut qu’être pris aux tripes et désolé pour lui. Quand un acteur réussi à être aussi mémorable en ayant si peu de répliques et de temps à l’écran, c’est qu’il est bon.

Par ailleurs, ce que j’apprécie dans A l’ombre de la haine, c’est sa palette de couleurs. En effet, l’image tire vers le brun et imprègne non seulement le film d’un caractère maussade à propos, mais magnifie aussi les carnations de peau des personnages (c’est bizarre à souligner mais c’est vrai).

Enfin, malgré les maladresses de son scénario, ce mélodrame fait son petit effet, que ce soit par les performances des acteur.rice.s que par son message d’humanité de fond. 6/10

MalaurieR
6
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le 15 janv. 2024

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