Après Jodie Foster enfermée dans une panic room, après Ryan Reynolds enfermé dans un cercueil, après Tom Hardy enfermé dans sa voiture, après tant d’autres avant et après eux, tant d’autres encore à venir, c’est au tour de Willem Dafoe de se retrouver enfermé dans un immense loft new-yorkais regorgeant d’œuvres d’art (essentiellement contemporaines et hautement symboliques, du genre Maurizio Cattelan, Johanna Piotrowska, Adrian Paci…). Œuvres d’art parmi lesquelles trônent trois Egon Schiele que son personnage, Nemo (au passage, brillante idée d’avoir choisi Dafoe dont la beauté singulière des traits rappelle à juste titre celle, torturée et acérée, de Schiele), as de la cambriole haut de gamme, doit promptement dérober. Sauf que le casse ne se passe pas comme prévu, une histoire de code d’alarme erroné, et voici Nemo soudain coincé dans l’appartement-musée.

Évidemment, le scénario va corser la chose parce qu’il faut bien que le personnage souffre un minimum pour que le spectateur prenne son pied un minimum : penthouse entièrement insonorisé et bunkérisé, pas d’eau, presque pas de nourriture, climatisation déréglée (les températures grimpent jusqu’à 41 degrés avant de chuter jusqu’à 6)... Pour Nemo, nouveau Robinson des temps modernes qu’aurait pu imaginer J. G. Ballard (on pense beaucoup à I.G.H. et à L’île de béton), comment donc s’échapper de cette forteresse high tech et muséale qui, triomphalement, domine le monde à sa façon (enfin Manhattan, ce qui revient au même) ? Parce que bon, l’art c’est sympa, mais faut pouvoir boire et se nourrir pour avoir une chance, d’abord, de survivre. Et un néon de David Horvitz ou ce qui semble être la copie originale du Mariage du Ciel et de l’Enfer de William Blake, ça n’aide en rien au problème.

De quel recoin reculé de son esprit Vasilis Katsoupis, dont c’est le premier long métrage (après le documentaire My friend Larry Gus), a-t-il déniché un pitch pareil, certes un rien invraisemblable, mais dans ce genre de film-concept, qu’a-t-on à faire d’un semblant de véracité quand l’enjeu se situe clairement ailleurs ? Parabole étrange (il faut bien avouer que l’on a du mal à savoir si Inside est à moitié réussi, à moitié raté, ou les deux à la fois) sur la condition artistique et la condition humaine, Inside déjoue les attentes du survival théorique (par exemple comme Cube ou, plus récemment, La plateforme) pour proposer une étude sur l’Homme dans toute sa vaine splendeur et ses rapports avec l’Art.

Car l’Art dans Inside passera par toutes les étapes d’une forme de processus inéluctable (et cyclique) initié par l’Homme : création, contemplation, exposition, exploitation, destruction enfin ("Il n’y a pas de création sans destruction", écrira à la fin Nemo dans ce qui ressemble à une épitaphe prophétique). Nemo lui-même créera (puisqu’il ne lui reste plus que ça, créer), dessinant sur les murs (grande fresque ésotérique ou gribouillis rappelant quelques motifs préhistoriques), assemblant des meubles en une sorte de sculpture monumentale (en premier lieu pour atteindre un immense plafonnier dans l’espoir d’y débusquer une sortie) ou inventant toutes sortes de petites installations, et jusqu’à sa merde agglomérée en un tas primal qui, éventuellement, évoquera le Merde d’artiste de Piero Manzoni.

Dans l’architecture sans cesse reconfigurée du penthouse devenu espace de performances (ou atelier d’artiste, c’est comme on voudra), Katsoupis interroge l’utilité et l’essence de l’Art comme il interroge celles de l’Homme, les confrontant en plaçant, très précisément, Nemo entre les deux. Entre absolu et contraires. Entre dehors et dedans, vu et invisible, chaud et froid, réel et imaginaire, raison et folie… On en revient ainsi à Blake qui, dans Le mariage du Ciel et de l’Enfer (encore lui, c’est un signe), écrit "Sans contraires il n’est pas de progrès. Attraction et répulsion, raison et énergie, amour et haine, sont nécessaires à l’existence de l’homme". La fin suggère d’ailleurs une montée au Ciel pour Nemo qui, après avoir enduré l’Enfer du penthouse, est donc laissé, comme nous tous, à la parfaite incertitude de la sienne.

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mymp
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le 12 avr. 2023

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