13 Assassins
7.1
13 Assassins

Film de Takashi Miike (2010)

Remettre au goût du jour le chambara est une idée séduisante, cela permet de pérenniser un héritage classique tout en lui apportant une touche moderne, que l'on imagine revigorante. Cela permet, tout simplement, de sauver un genre de la désuétude et de le faire revivre de nouveau. Même si on peut s'interroger sur la nécessité de passer par la case "remake" pour cela, c'est avec impatience que l'on attend la relecture du classique d'Eiichi Kudo, en espérant découvrir sous un jour nouveau une œuvre que l'on a tant appréciée autrefois. Seulement, Takashi Miike semble avoir du mal avec le mot "adaptation". Avec Hara-Kiri : Mort d'un samouraï, il avait réussi l'exploit de transformer l'intensité du chef-d'œuvre de Kobayashi en fadeur extrême. Ici, c'est avec la même détermination qu'il épure, ou simplifie, l'intrigue et les motivations des personnages, afin d'obtenir un chambara superficiel, caricatural, où la question de la vengeance se substitue à celle de l'honneur, où le réalisme se mue en vulgaire spectacle, racoleur et outrancier, et où l'intrigue politique, voire philosophique, ne dépasse pas le manichéisme primaire.


Alors bien sûr, 13 Assassins n'est en soi pas un mauvais film. Si on le regarde comme un film d'action un peu bourrin, on peut y trouver une certaine satisfaction. Surtout que Miike, faute d'être un grand cinéaste, connaît son métier et sait très bien soigner ses plans, chorégraphier ses combats, allant même jusqu'à donner une jolie dimension épique à son métrage. D'ailleurs durant la première partie, il excelle parfois dans l'art de nous conter une histoire avec peu d'effet ; comme lorsqu'il évoque le dilemme profond de ses personnages à travers une poignée de plans bien sentis : c'est un homme qui se fait hara-kiri en plan rapproché tandis que Kudo nous le représente de loin, comme si son destin était insignifiant face au pouvoir en place ; c'est un couple qui se sépare dans une ambiance tamisée des plus mélancoliques. Ainsi, on quitte la froideur, l'ambiance très solennelle du film de 1963 pour aller vers une œuvre plus chaleureuse, qui met davantage l'homme au cœur de son histoire. Cet angle est d'autant plus intéressant que Miike fait l'effort de purifier un récit qui se perdait parfois en conjectures, rendant lisible une intrigue un peu trop complexe. Malgré tout, à vouloir trop simplifier, on tombe parfois dans la caricature et dans la facilité, comme c'est malheureusement le cas ici...


Au diable les grandes idées et les vibrantes tragédies, Miike ne retient du chambara que sa dimension film d'action. Ainsi, la version de Kudo se trouve vidée de toute sa substance : le schisme qui se fait jour entre la classe politique et ses serviteurs, ainsi que l'avenir trouble d'un pays qui voit son système de valeurs profondément ébranlé, sont autant d'éléments écartés d'un revers de la main par Miike. Ce dernier ne retiendra du film originel que l'essentiel, à savoir treize héros qui vont mettre hors d'état de nuire un seigneur sanguinaire. Pour éviter toute ambiguïté, les personnages sont extrêmement stéréotypés : le méchant est très méchant, passant son temps à tuer, massacrer, torturer...heureusement, les gentils sont très gentils, ils adhèrent à de nobles valeurs et sont fiers de mourir pour elles. Pensant sans doute que la consommation active de pop-corn inhibe le fonctionnement cortical, Miike se fait un devoir d'expliquer, que dis-je, de sur-expliquer son propos : des dialogues inutiles viennent lourdement souligner ce que l'image disait naturellement ; la mise en scène en fait des tonnes pour exprimer le sentiment de "cruauté" (c'est un bruitage effroyablement insistant, c'est une surenchère nauséabonde dans la barbarie...). De toute façon, le public n'est pas là pour regarder un Bergman, mais pour se délecter de quelques combats au sabre, il en aura ainsi pour son argent !


On le sait, l'une des caractéristiques du chambara est de diffuser une tension croissante tout au long du récit afin de préparer le spectateur au combat final, spectaculaire, cathartique, jouissif. Miike, lui, n'est pas homme à s'encombrer de flirt ou de préliminaires, et passe rapidement au coït : l'intrigue s’interrompt à mi-parcours, réservant la dernière moitié du film au combat final. Personnellement, pour la prochaine fois, je lui conseillerais de commencer l'affrontement final dès la première scène car on n'a pas idée de perdre son temps à construire un semblant d'histoire, avec des personnages, des dialogues, etc. La dernière partie se limite à une vulgaire copie des blockbusters ricains, faite d'explosions, d'hectolitre de sang et de cadavres à la pelle. On essaie de faire "humoristique", avec un personnage qui se fait trancher la gorge avant de revenir comme si de rien n'était, ou "profond" avec des phrases, lâchées sans conviction, rappelant la question de l'honneur du samouraï, mais rien n'y fait, l’excentricité, la longueur et la lourdeur ont déjà eu raison de notre patience. 13 Assassins, c'est un peu le chambara expliqué aux nuls, sans intérêt à moins de le regarder comme un film porno.


Note: 3.5

Créée

le 18 avr. 2023

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Procol Harum

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