Survivre, survivre, survivre…
Avec un sujet aussi complexe, rarement voire jamais traité au cinéma, Mc Queen pénètre une terra incognita, et le fait avec brio, en évitant deux écueils qui auraient plantés royalement son film. Le premier s’appelle le misérabilisme larmoyant, le second le sentimentalisme racoleur. Pour couronner le tout, il oublie une de ses obsessions qui commençait à devenir clinique, à explorer les limites des corps de ses acteurs, (surtout celui de Fassbinder), quitte à transformer les films en complets expériences artistiques. Là, l’histoire prime avant tout. Heureusement car elle est assez extraordinaire et horrible en elle même. Les acteurs sont impressionnants, et c’est bien la première fois que je trouve Fassbinder bon. Avant je pensais qu’on en faisait trop à son sujet, une sorte d’attraction pour critique branché en mal de vedette, mais passons. L’idée de base est de ne jamais inférioriser qui que se soit. Les maîtres et esclaves sont toujours sur un même pied d’égalité devant la caméra, se font face tout le temps, sauf que l’un regarde dans les yeux, et l’autre à un regard de bête traquée. Sa mise en scène est plus solide à chaque film, là c’est solide comme un roc, le fait d'être concerné par le sujet ne n'empêche pas son habituelle maîtrise technique, qui lui sert de bouclier anti-pathos. Et pour ce qui est de la violence, c’est pas la chose la plus marquante du film, faut pas exagérer, elle est loin d’être insoutenable, j'ai déjà vu pire. Les point de vues sont savamment distribués, cette caméra subjective qui nous plonge carrément dans l'espace et les corps, on a le regard du bourreau (sujet), ou de l'homme asservi (l'objet). Ce film est une réflexion sur l’homme, et sa capacité à se dépasser pour survivre dans un monde hostile. Une photo soignée, techniquement c'est nickel, une palette de couleurs argile, terre, ébène, comme vernis à l’ancienne, un dégradé de chocolat fondu, café crème, et des couleurs métisses...cela reste un film, et une réflexion sur l'image et la couleur. Là, la couleur est terre de Sienne, tout en dégradé. Salomon était un homme libre qui a été fait esclave, et non le contraire, qui est plus simple à montrer à l’écran. Voilà comment on passe d’une situation particulière à un constat général, qui peut concerner tout le monde, et pas seulement les descendants d'esclaves. Tout le monde peut se sentir concerné par son sort, car il est monsieur-tout-le-monde à qui le destin a joué un sale tour. La liberté ne va pas de soi. Quans je disais que le sujet était complexe, il le demeure, même si Mc Queen déblaye un peu le terrain. Et une fin qui pourrait ressembler à un happy end, sauf que la distance et le regard pointu de Mc Queen lui permet d’élever les débats. Pas de leçon de morale mal venue, qui pourrait polluer les débats. Superbe. Enfin Mc Queen me donne à boire et à manger.