Le genre même du post-apocalyptique sous-entend, à cause ou grâce aux multiples productions qui en ont découlé, qu'il doit forcément montrer une société en proie à la division et au chaos. Les humains, en pleine crise économique, politique et sociale, s'adonnent aux pires bassesses possibles pour survivre dans un monde à l'agonie.


Dans Escale à Yokohama, on prend à contre-pied ce que l'on a l'habitude d'attendre de ce genre, pour offrir une balade bucolique et apaisée dans un Japon en proie à la montée des eaux. Pour autant, l'être humain ne semble pas s'adonner à de quelconques guerres ou bien à être mis sous la coupe d'un ordre fasciste. Ici, même s'il semble entrer dans une ère de déclin lente et calme, il semble avoir oublié le classique credo "Lutter pour sa survie et sa pérennité, par tous les moyens" pour se concentrer sur simplement profiter de l'existence.


Pourquoi des montées des eaux ? Mystère. Rien n'obtient de réponse concrète dans cette œuvre, et ce n'est pas la protagoniste principale, la robot Alpha, qui nous en apportera. Pour elle, s'occuper de son café où débarquent deux à trois clients par semaine est déjà un grand élément de son univers. Au travers de ses questionnements et de ses états d'esprit, on apprend doucement à découvrir ce qui fait le quotidien de cette jeune femme : parler avec ses clients, discuter et faire la sieste avec ses amis, se baigner, contempler la pluie et les étoiles...


"Et c'est tout ?"


Oui.


C'est tout.


On est ici devant la plus pure forme du slice of life, à mon sens, car on saisit réellement de véritables tranches de vie. Souvent, au détour d'un chapitre , des bribes de conversations nous arrivent, des visages souriants défilent, et on observe alors tout ce beau monde mener tranquillement son existence. En plus, ces conversations sont ponctuées de cases dédiées simplement aux paysages alentours, aux effets climatiques, à la nature qui continue de vivre.


Il y a une véritable forme d'apaisement qui se déclenche quand on lit ce manga, et c'est aussi et surtout dû au travail impeccable de l'auteur sur le dessin. Avec ses contrastes parfois épais, parfois dilués, avec ses cases qui se chevauchent sans réelles barrières tels des panneaux coulissants, et surtout avec cette patte rappelant de vieilles estampes... Comment ne pas fondre et se mêler à la contemplation devant un tel chef-
d'œuvre ?


Bien sûr, il arrive que se mêle à l'ensemble une certaine mélancolie car, au travers des pérégrinations de Alpha, un sentiment de solitude semble la gagner par instants et lui rappelle son état d'être immuable face au courant du temps.
Car arrivera, semble-t-il, un jour où il n'y aura plus d'humains sur Terre, et où seuls leurs enfants seront encore debout, attendant leurs propriétaires pour discuter autour d'un café.


D'une poésie douce et lumineuse comme ses dessins, d'un aspect relaxant comme une traînée de pluie sur un toit, faire escale à Yokohama aura été mon meilleur choix de cette année, sans l'ombre d'un doute.

Le-Maitre-Archiviste
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Créée

le 17 avr. 2021

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