Critique des deux tomes.


Paru en deux volumes chez Urban Comics en 2012, Batman Sombre Reflet est rapidement devenu une référence des comics Batman. Principal showrunner des aventures du super-héros depuis cette année-là (il succéda à l'écossais Grant Morrison à la suite de l'arc Batman RIP), Scott Snyder aura livré plusieurs runs d'anthologie (La Cour des hiboux, L'An Zéro, Mascarade), en parallèle de sa ligne narrative principale, dont Sombre reflet reste un des meilleurs exemples. Il s'agissait en fait de la première incursion de l'auteur dans le batverse. Avant de pouvoir collaborer avec le génial Greg Capullo sur les publications régulières dédiées au Dark Knight, Snyder s'entourait déjà ici de deux très bons artistes, Mark "Jock" Simpson et le nouveau venu Francesco Francavilla, pour mettre en images une histoire riche en détours narratifs et qui prend place peu avant la ligne éditoriale du New 52 (après les événements de Flashpoint, la mythologie de 52 comics DC, dont Batman, repartait quasiment de zéro).


Il est alors besoin de replacer le contexte : un temps déclaré mort (il fut prétendument tué par Darkseid au terme de l'arc Infinite crisis), Bruce Wayne/Batman est revenu à Gotham et lance officiellement le projet Batman Inc (consistant à épauler technologiquement tous les justiciers du globe). En son absence, c'est Dick Grayson, le premier Robin, qui a revêtu le masque afin de continuer à veiller sur Gotham. Voyant que son ancien protégé se débrouille presque aussi bien que lui, Wayne lui laisse un temps l'opportunité de le remplacer. On ne croisera ainsi pas une seule fois Bruce Wayne dans Sombre Reflet.


Dans cette intrigue, Grayson devra faire faire face seul à un nouvel adversaire en la personne du Priseur, un vieux collectionneur à la tête d'une organisation vouant un culte à la violence. Après qu'il l'ait mis hors d'état de nuire, Bat-Grayson se voit demander par Gordon d'enquêter sur la jeune PDG d'une société de la haute finance. Cette personne n'est pas n'importe qui puisqu'elle se révèle être en fait la fille de Tony Zuccho, l'assassin des parents du jeune homme. Alors que le justicier s'interroge sur l'intégrité apparente de la jeune femme, James Gordon lui, apprend la nouvelle du retour à Gotham de son fils Jim Jr. Et autant dire que le vieux commissaire a plus l'air de s'en inquiéter que de se réjouir. Car loin de marcher sur les traces héroïques de son père, Jim Jr semble avoir tout du psychopathe depuis son enfance. Froid, asocial et sans la moindre empathie, il est soupçonné d'être à l'origine de plusieurs disparitions. Père et fils se sont ensuite perdus de vue quand ce dernier quitta Gotham à sa majorité. Désormais, tout le questionnement du vieux commissaire est de comprendre les raisons du retour de son fils et de savoir si il peut lui faire confiance quand ce dernier déclare vouloir changer. Dans sa quête de réponse, Gordon s'appuiera sur les souvenirs de son ex-épouse Barbara et de sa fille adoptive Barbara... (Babs), ancienne Batgirl devenue tétraplégique à la suite des terribles événements de The Killing Joke. A la différence de son père, celle-ci reste persuadée de la malveillance de son frère et fera tout pour prouver qu'il est bien le monstre qu'elle soupçonne. Et quand le plus célèbre mauvais farceur de Gotham vient se joindre à la fête, c'est toute la famille Gordon qui ne sait plus à quel adversaire se fier.


C'est bien dans cette partie de l'intrigue, dédiée aux Gordon, que demeure tout l'intérêt du scénario de Sombre reflet. Car aussi bien menées soit les deux premières aventures solo de Grayson, leur succession sans grand rapport avec l'intrigue principale nuit à la cohérence de l'ensemble. Snyder a beau essayer en fin d'histoire de lier ses trois intrigues, en confrontant les trajectoires de Dick et de Jim Jr, on ne peut s'empêcher de penser que le scénario aurait grandement gagné à se consacrer uniquement au mystère entourant le fils de Jim Gordon. L'intrigue concernant ce personnage trouve ses origines dans les événements concluant l'arc Year One de Miller et Mazzucchelli. Pris sous le feu de la mafia, l'inspecteur Jim Gordon y voyait son fils, encore nourrisson, kidnappé par des tueurs et balancé dans le vide avant que le jeune Bruce Wayne ne le rattrape in extremis. Un souvenir traumatique qui aura certainement laissé des séquelles dans la psyché de l'enfant et servira donc de catalyseur à la trajectoire de James Jr dans Sombre Reflet. D'apparence impassible, celui-ci semble avoir tout de l'archétype du psychopathe à visage banal. Sa personnalité trouble fera pourtant douter un temps le commissaire et le lecteur avant que le scénario de Snyder ne fasse pencher la balance en faveur de la réponse la plus évidente. On regrettera alors la simplicité d'une résolution de l'intrigue qui manque clairement d'ambiguïté (mais qui présente quand même l'intérêt de donner une origine aux événements de The Killing Joke). La présence quelque peu anecdotique du Joker dans la dernière partie de l'intrigue servira surtout de ressort scénaristique pour Snyder, tout en révélant déjà la fascination de l'auteur pour le personnage et sa relation fusionnelle avec le "vrai" Batman (le Joker étant un des seuls avec le commissaire Gordon, à percer à jour l'imposture de Grayson sous le masque). L'antagonisme Batman/Joker restant au centre de l'oeuvre de Snyder chez DC, Sombre reflet ne fait que l'annoncer mais contient aussi quelques marottes que l'auteur ré-emploiera dans l'univers du Caped Crusader dès l'avènement du New 52. L'organisation criminelle du Priseur, composée de riches notables, anonymes et masqués, ne fait ainsi qu'annoncer La Cour des hiboux que Snyder imaginera un an plus tard avec Greg Capullo. De même les quelques réflexions du personnage de James Jr sur la nature de l'homme et sa propension au mal, nourriront le discours du Joker (ou Red Hood) dans les arcs L'An Zéro, Le Deuil de la famille et Mascarade.


La nature duale des soupçons pesant sur le fils de Gordon se trouve parfaitement retranscrite dans les dessins old schools de Francavilla et son style, collant au plus près à celui de Mazzucchelli sur Year One, a de quoi séduire l'oeil du lecteur. L'artiste a un trait épais et sait insuffler une atmosphère angoissante à ses dessins. C'est aussi grâce à son travail que le scénario de Snyder dédié aux Gordon fonctionne autant dans la montée progressive de la tension. Le style de Jock lui, est plus moderne et cinématographique. L'artiste illustre ici surtout la partie dédiée à Grayson, où l'on retrouve le plus d'action. Le découpage est lisible et les dessins stylisés, particulièrement soignés, brillent par la richesse aérienne de leurs détails (la superbe couverture du second tome, représentant le Joker, en est un parfait exemple). Les deux artistes ont beau rivaliser de talent pour illustrer cette histoire, il est juste un peu regrettable que leur style soit si différent, au point de devenir contradictoire. En effet, le passage des dessins de l'un à ceux de l'autre est parfois si radical qu'il nuit un peu à la cohérence de l'oeuvre. L'idée est pourtant logique, elle permet ici d'opposer la modernité des aventures d'un tout nouveau Batman aux réminiscences inquiétantes du passé de Jim Gordon et des débuts de l'ancien Chevalier Noir.


Il s'agit surtout de reconsidérer la qualité du travail de Snyder et de ses dessinateurs. D'une noirceur sidérante, très proche des dark comics Batman de l'époque bénie des 80's, Sombre reflet se lit comme on savoure un bon thriller, d'une seule traite et avec hâte d'en connaitre le dénouement. Certainement un des meilleurs runs de son auteur, qui concluait ici avec maestria l'âge moderne tout en annonçant les bouleversements du New 52 et la refonte totale du Batverse.

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le 11 nov. 2018

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Buddy_Noone

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