CRITIQUE DE L'INTEGRALE :


Le succès de la série produite par Amazon nous a presque fait oublier qu'elle est adaptée d'un comics-fleuve paru chez Wildstorm (DC Comics) puis chez Dynamite Entertainement entre 2006 et 2012. Créé par le trublion Garth Ennis avec au crayon le dessinateur Darick Robertson, The Boys nous présente un monde alternatif où les super-héros existent bel et bien et oeuvrent sous l'égide d'un grand consortium qui marketent leurs exploits en vue d'asservir les masses. Blasés par la célébrité et leur train de vie facile, ces "justiciers" se révèlent être, pour la plupart, de parfaits connards à super-pouvoirs, aussi pervers que dépravés, narcissiques et odieux.


C'est dans ce contexte que Hughie Campbell, jeune écossais naïf à la tronche de Simon Pegg, voit sa copine se faire tuer sous ses yeux, victime du dérapage malencontreux d'un "super" juridiquement intouchable. Quelques jours après, le jeune homme est approché par le charismatique Billy Butcher qui lui propose de l'aider à se venger et le recrute dans sa bande de casseurs de "super-slips". Surnommés "The Boys", ces cinq barbouzes aux tempéraments violents et azimutés ont pour objectif de rendre la vie dure aux super-héros qui ne voleraient pas dans les clous. Et autant dire qu'ils savent y faire pour punir les vilains encapés, entre chantage, pressions de toutes sortes, torture et tabassage en règle. Rapidement intégré au groupe, Hughie va alors très vite faire l'apprentissage de son nouveau job et découvrir les secrets honteux d'une Amérique uchronique, rongée de l'intérieur par la corruption et la manipulation politique. Mais les méthodes de plus en plus brutales de son mentor, ainsi que les terrifiants secrets qui cernent son passé, finiront par entamer sérieusement l'idéalisme du P'tit Hughie.


Il est bien connu que Garth Ennis n'aime pas les super-héros. Longtemps contraint de n'écrire que des comics à la gloire des plus grandes figures Marvel (Hulk, Thor, Spiderman) et DC (Superman), cet artiste écossais à la verve incisive a rapidement développé une sorte de rancune tenace pour le genre super-héroïque. Il suffit de se pencher sur son oeuvre pour constater que les seuls héros "connus" qu'il ait jusqu'ici bien tolérés furent John Constantine, Nick Fury, Judge Dredd et le Punisher, probablement pour leur ambiguité morale, leur cynisme larvé et leurs méthodes peu orthodoxes. Désolidarisé du tout-venant super-héroïque, le scénariste aura alors très vite opté pour la création de comics originaux (The Darkness, Just a Pilgrim), dédiés à des anti-héros parfois terrifiants, parfois drôles, et surtout moralement douteux. Parmi toutes ses séries au long cours, Preacher, Hitman, Crossed et surtout The Boys figurent aujourd'hui parmi ses créations les plus connues. Des oeuvres violentes et subversives, à l'opposé de la naïveté des publications plus mainstream de chez Marvel.


Avec The Boys, Ennis enfonçait rudement le clou et tournait en ridicule l'archétype super-héroïque en en faisant la représentation de toute la vicissitude et la vanité humaine. A ce titre, chacun des super-héros présentés dans le comics (une bonne centaine) se révèle être le pastiche plus ou moins évident d'une icone DC ou Marvel ainsi que l'expression du profond mépris qu'Ennis adresse au genre super-héroïque. L'auteur transforme ainsi les 7 (parodie de la Justice League) en parfaits salopards, donne son point de vue sur les G-Men et l'amour pédophile de leur mentor, dégomme même les Revengers et leur Captain Amerloque d'opérette. Il va même jusqu'à pasticher Stan Lee en personne, en en faisant "la Légende", un auteur de comics à la retraite, dégoûté par le système et entretenant une liaison improbable avec une de ses "créations". A travers le regard que pose Ennis sur le genre, les super-héros ne sont que l'expression douteuse d'une propagande consumériste, entièrement dédiée au culte de la toute-puissance américaine. Le pays de l'Oncle Sam prend ici d'ailleurs très cher, puisque croulant sous les secrets d'histoire les plus honteux, liés à l'histoire des comics comme moyen de propagande, qui servent ici les intérêts d'un consortium aux ramifications insensées. Il faut aussi voir l'image que nous donne l'auteur de la présidence américaine, Ennis ayant à coeur de dévaloriser la fonction suprême au point d'oser sacrifier stupidement un "bon" président (dévoré par un petit serval enragé) et de faire d'un parfait demeuré, le candidat-chéri des foules ainsi que prête-nom idéal des véritables dirigeants.


La satire, très présente, n'épargne ici rien ni personne et l'auteur s'amuse beaucoup à explorer tous les clichés les plus improbables pour alimenter son récit. On rira ainsi volontiers des nombreuses prouesses sexuelles de "l'hérogasme", grossière dévaluation orgiaque du genre super-héroïque, ainsi qu'à l'évocation farfelue du passé du Français (dans une France campagnarde où l'on joute à vélo, la baguette sous le bras) et des origines de la Fille (un hilarant clin d'oeil à Aliens de Cameron). Mais l'exercice ne se réduit pas pour autant à la simple caricature. Ennis a beau se faire plaisir dans ses portraitures criblées de chiures, il n'oublie jamais de maintenir un équilibre délicat, entre humour délirant, violence outrancière et passages émouvants. L'auteur nourrit ainsi régulièrement la relation ambivalente qui lie chacun de ses protagonistes en les montrant sous différents jours : Billy Butcher n'est pas simplement un homme en quête de vengeance, c'est aussi un mentor à la recherche de repères affectifs; Hughie Campbell est loin du simple faire-valoir mais devient l'égal de son mentor sans jamais renoncer à son intégrité; La Crème est un colosse aux pieds d'argile, littéralement dépendant de sa mère et tourmenté par ses problèmes de famille; le Protecteur lui, a beau être le personnage le plus puissant et le plus craint du monde, il se révèle pathétique dans sa quête de reconnaissance et sa soif immorale de pouvoir; quant à Stillwell, il semble être le véritable "sur-homme" de la BD, un cadre pragmatique, dénué d'émotions et sans passé, entièrement dévoué au succès de son entreprise.


D'un point de vue purement artistique, la tâche n'aura clairement pas été facile pour Darrick Robertson. Les nombreuses digressions du récit au long cours élaboré par Ennis l'auront parfois poussé à céder le crayon à d'autres artistes pour tenir la distance. Ce qui peut étonner quand on passe d'un chapitre à l'autre, sans y retrouver la même identité graphique. Pour autant, l'artiste reste le principal illustrateur de The Boys, son indéniable sens de la mise en page servant ici parfaitement la diversité de tons employés par Ennis. On aura beau trouver parfois un petit côté bâclé dans certaines de ses cases et peut-être même penser que Robertson n'a pas le coup de crayon d'un Tim Sale ou d'un Lee Bermejo, la richesse graphique de chacune de ses planches et sa profusion de protagonistes témoignent expressément du talent et du travail titanesque du dessinateur. Mention spéciale à la colorisation, le travail de Tony Avina n'ayant été à l'évidence là-aussi pas de tout repos.


A l'heure où la série dévoile déjà des images de sa saison 2, il reste toujours intéressant de se (re)plonger dans le comics l'ayant inspiré. D'autant plus que la série n'est que très peu fidèle aux événements relatés dans le comics. On peut alors s'amuser à souligner les différences voulues par les créateurs du show, ses quelques personnages inédits (dont celui d'Elizabeth Shue) et la volonté de placer les Boys en situation d'infériorité. Il me faut aussi souligner que si la série se montre parfois excessive dans son traitement de la violence, le spectacle reste mille fois plus soft à l'écran que ce qu'on trouve dans les pages de la bd. Fidèle à la réputation de son auteur, The Boys regorge d'illustrations gores (plus ou moins choquantes) et de scènes de sexe assez crues qui interdisent de surcroît le comics aux plus jeunes lecteurs. C'est aussi un défilé de vannes irrésistibles, à la grossièreté souvent hilarante. Et certainement le meilleur doigt d'honneur possible à l'industrie du comics, en pleine époque de culte aux "super-slips" de Marvel, DC et compagnie.

Buddy_Noone
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le 1 janv. 2020

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Buddy_Noone

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