Avant de débuter la critique de ce comic, il me faut préciser que je ne me baserai ici que sur ma lecture de l’édition intégrale américaine The Complete Frank Miller's Robocop Omnibus édité chez Boom Studios et réunissant les arcs Robocop (adapté du scénario original du film Robocop 2), Robocop : Last stand et l’épilogue Rebirth of Detroit (adaptés du scénario original de Robocop 3). Je vais donc diviser ma critique de cette intégrale en deux parties, une consacrée au premier arc édité en France sous le titre Frank Miller's Robocop, une autre pour le second arc Last stand, disponible en français sous le titre Robocop : Mort ou vif.


Est-il encore besoin de présenter Frank Miller, le scénariste qui révolutionna l’univers des comics dans les années 80 lorsqu’il dépoussiéra les franchises Daredevil pour Marvel et Batman pour DC ? Le crayon aussi aiguisé qu’un couteau, le célèbre artiste contamina à lui seul toute l’industrie du comics de sa vision noire, adulte et violente de l’univers des super-héros. C’est donc sans surprise que le gonze fut un jour approché par les pontes hollywoodiens pour passer à l’écriture de long-métrages. Et c’est la défunte Orion Pictures qui, la première, proposa au jeune scénariste le bon soin d’écrire une suite au film culte de Paul Verhoeven, sorti en 1987, Robocop. Un choix des plus logiques au vu des nombreuses thématiques communes qui émaillent le film du Hollandais violent et certains des comics de Miller (conglomérat corrompu, ville déliquescente, criminalité exacerbée, médias propagandistes et omniprésents).


Le scénariste écrivit donc un premier traitement pour cette suite, s’accordant quelque peu avec la vision de Tim Hunter, premier réalisateur envisagé désigné par le studio pour mettre en images Robocop 2. Quelques différents d’ordre artistique opposèrent néanmoins le cinéaste avec les financiers de la firme lesquels ne tardèrent pas à le dégager pour proposer sa place au vieux briscard qu’était Irvin Kershner (L’Empire contre-attaque). Lequel accepta avec joie la proposition et… réécrivit avec le scénariste Wallon Green le script initial de Miller, qu’il jugeait un peu coûteux et surtout trop foutraque à son goût. L’exercice s’avéra alors terriblement frustrant pour le jeune scénariste star des comics qui vit avec amertume son histoire lui échapper. Il fut d’ailleurs à nouveau crédité trois ans plus tard au scénario du lamentable Robocop 3, alors que le réalisateur et (véritable scénariste de ce troisième opus) Fred Dekker n’avait fait que reprendre à son compte quelques idées du script initial de Miller. Robocop 3 s’imposa comme une tentative débile de « disneyisation » (comment ça, ça se dit pas ?) d’une franchise ultra-violente et récolta à juste titre l’ire de tous les fans, lesquels crurent pendant longtemps que Miller était responsable de ce massacre.


Sans surprise, ce dernier répéta pendant des années à qui voulait l’entendre que Robocop 2 et 3 n’étaient pas les films qu’il avait initialement écrit. Il se vengea d’ailleurs quelque peu en 1992 en scénarisant le cross-over Robocop vs the Terminator, édité chez Dark Horse Comics. Au début des années 2000, le scénariste Steven Grant, ami de Frank Miller, s’associait avec le dessinateur Juan José Ryp pour réadapter le scénario originel de Robocop 2 de Miller dans un comic sobrement intitulé Robocop. L’intrigue de cette première BD reprend dans les grandes lignes celle du second film mais brasse des éléments que l’on retrouve tout autant dans l’excellente suite de Kershner que dans le navet de Dekker. Il s’agit d’une suite directe au chef d’oeuvre de Verhoeven. On y retrouve un Detroit futuriste, ravagé par la criminalité, la corruption et la misère. Déterminé à concrétiser son projet Delta City, soit la construction d’une ville futuriste sur le vieux Detroit, l’OCP s’emploie à déloger les habitants les plus démunis des quartiers pauvres en donnant tout pouvoir à une milice privée dont les méthodes répressives renvoient aux sombres heures de l’Occupation allemande. La police, sous-payée par l’OCP, est en grève et seuls quelques flics assurent encore un semblant de justice au milieu du chaos. Parmi eux, Robocop aligne les heures sup et mène une guerre particulièrement violente aux trafiquants de toutes sortes. Dans sa croisade contre le crime, il est bientôt amené à s’opposer aux miliciens de l’OCP et aux ordres injustes de ses dirigeants. Considéré alors comme défaillant par la firme, il est reprogrammé par une psychiatre arriviste, Amanda Love (la psy du second film, Juliette Fax, apparaitra quant à elle dans l’arc Last stand) déterminée à « soigner » la ville entière en traitant le mal par le mal. Elle crée alors un cyborg sur la base du cerveau d’un psychopathe pour réprimer le chaos qui règne dans les rues de Detroit. Robocop aura fort à faire avec ce dernier adversaire.


On retrouve ici, dans les grandes lignes, l’essentiel du scénario de Robocop 2, avec déjà quelques éléments de celui de Robocop 3 : la grève de la police, la psychiatre aussi belle que machiavélique, les essais ratés pour créer Robocop 2, le psychopathe transformé en robot colossal, la petite orpheline sauvée par Murphy (mais sans véritable importance dans l’histoire), les civils organisant la résistance, la milice privée aux airs de nazis, la destruction des quartiers pauvres par l’OCP, deux nouveaux ED-209 aussi cons que le premier, quelques publicités fictives déjà aperçues dans le film de Kershner. La différence étant dans le traitement extrême voulu par Miller et l’excès de violence graphique qu’il implique. Fidèle à sa réputation, Miller emboite le pas au film de Verhoeven, en poussant la violence et l’anarchie à un point tel que l’histoire de cette suite en devient terriblement foutraque et indigeste, la satire devenant si grotesque que la pilule ne passe plus. On comprend ainsi facilement ce qui a poussé Irvin Kershner à vouloir réécrire le script de Robocop 2 tant celui qu’avait écrit Miller croule sous les idées les plus farfelues (la transformation soudaine de la psy en cyborg) et désamorce toute la subtilité du propos initial de Verhoeven. Preuve de l’incapacité de Miller à rendre justice au film original, le personnage d’Alex Murphy et le lien qui l’unit à sa veuve sont rapidement écartés de l’intrigue pour privilégier le côté « super-héros » de Robocop, une dimension que l’on retrouvera tout aussi prégnante dans le film de Kershner et dont Miller s’avère en fait totalement responsable. Evacuant la moindre psychologie de son histoire et ne rechignant jamais à la peupler de clichés bêtement manichéens (voire le rictus odieux déformant la gueule de tous les méchants), Miller et Grant procrastinent dans la redite du vigilante ultra-violent et ressassent quelques-unes des marottes les plus douteuses de l’auteur de Sin City, notamment dans la représentation esthétique de ses personnages féminins (médecins, flics et psychiatres, toutes sont des canons de beauté). Souvent taxé de misogynie et de sexisme, Miller ne pourra pas ici prétendre qu’il ne l’a pas cherché tant ses personnages féminins finissent bien souvent, sous le coup de crayon de son dessinateur, par révéler leur poitrine opulente et leurs jambes trop élancées. De quoi rincer à grands jets les yeux d’un lectorat que l’on devine essentiellement jeune et masculin.


Reste que si l’intrigue de Miller déçoit sur de nombreux aspects, le comic gagne quelques points grâce à la qualité de ses dessins. Dans sa représentation graphique d’une société devenant folle, le premier segment de l’intégrale Robocop de Miller peut faire penser au one-shot Hard Boiled déjà scénarisé dix ans auparavant par Miller et magnifié par les généreuses illustrations de Geoff Darrow. D’autant plus que la richesse des illustrations élaborées par Juan José Ryp et le foisonnement de ses couleurs apocalyptiques renvoient pour beaucoup au travail de Darrow, la qualité de la mise en page en moins. C’est surtout par la méticuleuse précision de ses dessins, et l’aura démentielle qui s’en dégage, que ce Robocop illustré gagne en valeur. Il est seulement dommage que Steven Grant (en charge de l’adaptation séquentielle) et son dessinateur peinent si souvent à rendre lisibles les scènes d’action (voir le pugilat incompréhensible entre Robocop et Robocop 2 dans le métro) et accentuent autant le faciès grotesque de ses personnages pour en souligner plus la laideur que l’humanité. Un traitement graphique outrancier, virant parfois à la bouillie visuelle, et qui, à l’image de la dimension caricaturale du scénario de Miller, contribue à désamorcer une bonne partie de l’intérêt que le lecteur aurait pu trouver à cette « suite », décidemment trop foutraque pour convaincre. Le fan pur et dur, lui, aura d’ailleurs envie de brûler ce volume quand il tombera en fin d’histoire sur l’illustration montrant Murphy rouler un patin à Lewis. On imagine bien ça dans le film de Verhoeven tiens.

Buddy_Noone
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le 16 août 2021

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Buddy_Noone

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