Wish
7.2
Wish

Album de The Cure (1992)

Qui veut faire un vœu ? Là, maintenant, tout de suite ? Il se trouve que j'ai justement à côté de moi un disque des Cure qui s'appelle « Wish » : il parait que quand on le frotte du revers de la manche, cinq génies en sortent... C'est encore mieux que la lampe d'Aladin !
Après le monstrueux succès du superbe « Disintegration » (comme quoi, reconnaissance du public et authenticité, quand on a la volonté, c'est possible), puis un « Prayer Tour » dantesque, le groupe se retrouve donc en studio au début des années 90. Un peu vidés, peut-être, par l'effort de création et de promotion de leur chef-d'œuvre mélancolique, Smith et ses acolytes mettront un peu plus de temps que d'habitude à accoucher de « Wish ». Qu'importe : l'inspiration sera une nouvelle fois au rendez-vous.
Même sans parler musique (ne partez pas, ça va venir !), ce qui frappe en premier sur cet album, et vous attire déjà, c'est l'artwork, sans doute le plus inspiré et le plus cohérent de toute leur carrière. Pratique d'avoir un designer parmi les membres (Porl Thompson, en l'occurrence). La pochette, plutôt abstraite malgré quelques éléments figuratifs reconnaissables (les mains, la multitude d'yeux, l'espèce de pieuvre cyclope fantasmagorique), dégage une sorte d'aura mystico-onirique, comme un mélange curieux de psychédélisme primaire et naïf et de symbolisme un brin perché. A moins que ce ne soit l'inverse. Quoi qu'il en soit, on notera également une étrange cohabitation de couleurs, entre le bleu (qui, dans le petit monde du graphisme, renvoie souvent aux émotions, à l'intellect, à l'aérien, au liquide) et le rouge (synonyme de passion, de chaleur, de vie, de sang). « Wish » serait-il donc un album où les éléments s'opposent, où le feu et l'eau, bref, le cœur et la raison s'entrechoquent, interagissent, créant un équilibre instable, des réactions chimiques improbables, électriques, fluctuantes ? Réponse : oui. Il était même question, à l'époque, d'un second CD entièrement instrumental, planant, intitulé « Music for dreams ». Cette dualité n'est donc pas une vaine illusion.
Rien d'étonnant, sachant cela, à en retrouver les traces sur ce disque, avec, en gros, trois types de chansons : celles qui se couvrent de rouge, brûlantes et bruitistes (influence du shoegazing émergent) ; celles qui, à l'inverse, privilégieront plutôt les teintes bleutées, plus calmes et introspectives (influence identique pourtant) ; et enfin, celles qui tenteront de mixer les deux tendances, dans un esprit pop et accessible devenu, en 1992, un exercice coutumier pour les Cure. On peut ranger dans la première catégorie les morceaux d'introduction et de conclusion (« Open » et « End »), dont l'ambiance abrasive rappelle plus volontiers la wah-wah pulsionnelle de « The kiss » ou « All I want » qu'un quelconque titre de « Disintegration », bien que « Fascination street » s'en rapproche assez. L'album s'ouvre et se referme donc dans une sorte de chaos musical, où le groupe réinvente et explore de nouvelles sonorités torturées par l'enchevêtrement de grosses couches de guitares saturées. Ce sont des chansons de qualité, longues, tendues, à l'atmosphère chargée d'éclairs ; « End » se termine d'ailleurs par une implosion. Entre les deux, on trouvera d'autres manifestations de ce rock caractériel, avec par exemple l'inénarrable « From the edge of the deep green sea » (un titre à rallonge pour une chanson tout aussi étiolée), bardée d'un immense solo de gratte, tantôt crépitant comme une traînée de poudre, tantôt fusant tel un feu d'artifice ; sans oublier « Cut », un morceau sous-estimé, hyper nerveux, sauvage, plein de secousses telluriques, sorte de geyser d'émotions personnifiant la colère et la frustration d'un amant éconduit.
A l'inverse, comme expliqué plus haut, le groupe nous gratifiera aussi de mélodies plus tranquilles, possédant toutes un fort accent « acoustique » (histoire d'intensifier le contraste musical avec les distorsions sonores des titres précédemment cités), où la maîtrise des émotions est totale, qu'elles dépeignent un élan de triste nostalgie (« A letter to Elise », « To wish impossible things ») ou un désespoir plus profond (l'atonale « Apart » ou la bouleversante « Trust », les rares exceptions qui, avec une domination inattendue du synthé, lorgnent encore du côté de « Disintegration » ).
Bon... Si on fait le compte, ça fait quatre d'un côté, quatre de l'autre, soit huit sur un total de douze compos. Vous avez bien deviné, il y aura donc également (mais dites-moi pas que c'est pas vrai !) une proportion de quatre « hybrides » pop... On jurerait presque que c'était fait exprès ! D'ailleurs, de manière tout aussi étonnante, deux d'entre eux sortiront en single, à savoir « Friday I'm in love » et « High » (la première est plus connue, mais préférez-lui la seconde, plus fraîche, moins indigeste au fil des écoutes). Les derniers viendront compléter le tableau, pour le meilleur (« Doing the unstuck », véritable hymne à la joie qui parviendra sans problème à vous communiquer son euphorie) et pour le pire (le groove bizarroïde de « Wendy time », globalement moyen, pas à sa place, un peu comme si Smith l'avait casé là pour faire du remplissage). On retrouve donc ici les ingrédients des autres catégories, mais utilisés plus parcimonieusement ou de différente façon ; mine de rien, ce sont des exercices de style d'une grande complexité, réussis pour la plupart, à travers lesquels les Cure jouent les équilibristes entre l'homogénéité du disque et l'accessibilité au grand public.
Certains chroniqueurs ont souvent vu en « Wish » l'opus d'un groupe qui n'avait plus rien à prouver, entièrement centré sur lui-même, maîtrisant son style à la perfection, à tel point qu'il aurait commencé, à cette période, à trop se reposer sur ses lauriers, entraînant, par la suite, une irrémédiable baisse de qualité et d'inspiration. Soyons honnêtes, il y a un peu de ça. Mais c'est plus compliqué. « Apart », « Wendy time » et « Friday I'm in love » ont en effet pour moi quelque chose qui tient de la caricature ; il n'aurait pas été difficile du tout de piocher parmi les sublimes faces B de l'époque pour les remplacer. Mais depuis ses débuts, Smith a toujours été partisan – philosophie intéressante mais parfois discutable – de conserver une poignée de pépites musicales à l'écart, un peu comme s'il constituait un jardin secret destiné aux admirateurs les plus avertis. Et même sans aller jusque là, on ressent dans les textes de « Open » et « End » une grande lassitude du star-system, une volonté de s'éclipser qui sera sans doute passée aux yeux de quelques fans pour de l'ingratitude (« Please stop loving me / I'm none of these things... »). Alors qu'elle n'était, après tout, qu'une preuve de sincérité et de lucidité, où le leader britannique laissait transparaître pour la première fois sa condition d'artiste prisonnier de sa création, certes extrêmement efficace (« Wish » sera l'album de la consécration aux Etats-Unis), mais devenue trop énorme, trop étouffante. D'ailleurs, il se passera cette fois quatre ans avant la sortie de « Wild mood swings », un long break qui verra le groupe muer de nouveau. Mais c'est une autre page de leur histoire. En tout cas, que cela ne vous empêche pas de considérer « Wish » comme il se doit : une œuvre ancrée dans les années 90, puissante, travaillée, réfléchie et subtile, novatrice pour les Cure, souffrant finalement de défauts assez mineurs.

Créée

le 22 déc. 2011

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Psychedeclic

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