The Next Day
6.7
The Next Day

Album de David Bowie (2013)

Paf. Ce coup de caisse claire semble nous dire : « c’est reparti ». Et à bonne allure, s’il vous plaît. Guitare et voix bowiennes se joignent vite à la fête de la chanson « The Next Day » pour nous régaler d’un son que nous n’avions plus entendu depuis dix ans. Celui de David Robert Jones, artiste incroyable qui ne cesse de se promener dans différentes contrées du monde de la musique depuis 1964. Lui-même a contribué à en bâtir l’histoire, notamment dans les années 1970 avec sa fameuse « trilogie berlinoise » riche en expérimentations aventureuses, et avant cela un glam rock qui a fourni entre autres deux véritables chefs d’œuvre : Hunky Dory en 1971, et surtout l’irremplaçable album-concept Ziggy Stardust, qui est l’année suivante le plus grand monument de rock jamais réalisé (et le restera jusqu’en 1997). Artiste complet et fringant, personnalité ambiguë, Bowie ne se repose jamais sur ses lauriers et va où la tendance l’emporte, avec plus ou moins de réussite et toujours autant de panache.


Le revoilà donc. Son dynamisme n’a pas pris une ride, mais c’est amusant, sa voix résonne tout de même plus vieille que celle du jeune homme étoilé qui s'était collé une étiquette de bisexuel. Les « lalala » de « How Does the Grass Grown » nous dévoilent un chanteur toujours capable de prouesses techniques impressionnantes entre les graves et les aigus. Qu’a-t-il fait depuis Reality en 2003 ? Il n’a pas quitté le monde la musique, mais a cessé de produire un moment. Au début des années 2010, des rumeurs inquiétantes circulent sur son état de santé. Le 8 janvier 2013, jour de son soixante-sixième anniversaire, c’est à la surprise générale qu’il annonce la sortie d’un nouvel album. Deux singles précèdent The Next Day, qui aurait pu s’appeler The Next Decade. A en juger par son retentissement médiatique, l’événement devient aussi important que la crise économique ou la guerre civile syrienne. Enregistré dans le secret, ce vingt-quatrième album est produit par un ami de longue date de Bowie, Tony Visconti, et est largué partout dans le monde comme une véritable bombe musicale. La pochette reprend celle de Heroes en masquant le visage du chanteur par un grand cadre blanc où est écrit le titre. Le graphiste Jonathan Barnbrook justifie ce choix simpliste comme le symbole de « l’oubli ou l’effacement du passé ». Etrange pour un album qui revisite différents styles pratiqués par Bowie au cours de sa carrière.


En effet, c’est du Bowie pur jus que nous avons là. Certes il intègre toutes sortes d’ingrédients à sa musique, mais il y a toujours quelque chose d’essentiel qui transcende le tout. « (You Will) Set the World on Fire » laisse entendre que le rock alternatif est passé par là avec sa guitare électrique aérienne, mais comme sur le rock de « Boss of Me », les mélodies se superposent dans une alchimie toute particulière. Si le début du single « The Stars (Are Out Tonight) » semble annoncer une chanson pop représentative de notre époque, les « wouhouu » ne manquent pas nous ramener à l’atmosphère de Hunky Dory. « Valentine’s Day » est romantique comme au bon vieux temps. Bon, il ne faut pas rêver, il n’y a pas sur cet album de chanson aussi classieuse que pouvaient l’être « Life on Mars » ou « Rock ‘n’ roll Suicide ». Mais l’ensemble vaut quand même le coup d’être écouté attentivement, car il s’agit d’une œuvre bien ficelée capable d’émouvoir. Les lignes de chant de « I’d Rather Be High » ne sont pas sans rappeler la grandiloquence de « Space Oddity », sur une instrumentation plus difficile à digérer. « You Feel So Lonely You Could Die » est une jolie ballade mélancolique, tandis que la folle « If You Can See Me » donne une impression de course-poursuite. L’album navigue entre différentes ambiances sans trame apparente, simplement comme voyage d’une chanson à l’autre.


The Next Day s’inscrit à la fois dans une optique de continuité et de bilan. D’ailleurs, les puristes peuvent s’amuser à décortiquer les paroles pour y extraire des références aux œuvres passées du Monsieur. Mais David Bowie appartient absolument à toutes les époques, y compris celles qui n’ont pas encore eu lieu. Il s’est toujours intéressé aux avant-gardes qu’il intègre de son mieux à son style, à l’instar de la partie de piano époustouflante d’ « Aladdin Sane » en 1973. On retrouve dans le single « Where Are Me Now ? » cet art de la touche, qui est un peu à la partition ce que le mot est au vers pour un poète. Au-delà du synthétiseur planant qui aurait été à sa place sur Low, chaque note de piano retentit avec écho et puissance pour mettre en valeur un chant à la fois grave et un brin naïf. Pour cela, il sait s’entourer d’excellents musiciens auxquels il arrive à faire comprendre ce qu’il cherche à obtenir. Le rendu est moyen à certains moments au gré de ces quatorze titres, avec un certain sentiment de vide lorsque l’arrière-plan sonore n’est pas assuré. La dynamique de « Love Is Lost » semble ainsi quelque peu forcée, tandis que « Dirty Boys » savait donner une touche bluesy sans être trop blasante. Sinon, c’est au moins intéressant à défaut d’être génial. Non seulement Bowie dépasse le temps, mais la planète où il habite est également incertaine : sur « Dancing Out in Space », on n’attend plus qu’un « tuuut » et la voix d’un extra-terrestre qui confirme son arrivée sur Terre. L’inquiétant « Heat » clôt de façon inspirée l’album dans une sensation d’enfermement un peu morbide, et David Bowie confie : « And I tell myself/I Don’t Know Who I Am ». Rendez-vous en 2023 pour voir s’il a trouvé la clé de ses doutes et tourments ?


Par une ironie du sort quelque peu tragique, le musée Victoria et Albert de Londres avait récemment prévu une grande exposition sur David Bowie. C’est comme s’il était déjà fini – ils n’étaient pas encore avisés de la sortie de The Next Day. L’exposition rencontrera certes un succès renforcé par la sortie de l’album, mais ce dernier nous rappelle qu’il ne faut pas enterrer prématurément les grands musiciens. En qualité tout comme en originalité, The Next Day surpasse à la fois une bonne partie des albums sortis par Bowie auparavant et de nombreux albums de divers artistes contemporains. A noter que le caméléon n’est pas avare en musique et qu’il propose trois titres bonus dans l’édition Deluxe.

Kantien_Mackenzie
7

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs albums de David Bowie

Créée

le 11 mai 2014

Critique lue 277 fois

1 j'aime

Critique lue 277 fois

1

D'autres avis sur The Next Day

The Next Day
takeshi29
4

Cette fois les 17 titre sont écoutés... et il y en a au moins 10 de trop...

Pour l'instant je ne suis parvenu qu'à écouter 9 titres et ce n'est pas un problème technique qui m'a empêché d'aller plus loin. Non ce sont justes mes oreilles qui m'ont prévenu que si je n'arrêtais...

le 2 mars 2013

27 j'aime

13

The Next Day
Pinkerton
8

Critique de The Next Day par Pinkerton

Je dois dire que je suis encore aujourd'hui après moults écoutes surpris par cet album, j'en attendais vraiment pas du tout autant! les deux singles en disait long pour autant, de la très bonne...

le 14 mars 2013

13 j'aime

The Next Day
T-Usk
7

Wondering about sound and vision

Difficile d'approcher un album de Bowie en faisant abstraction du personnage, d'une carrière. Difficile de trouver un angle d'attaque pour cet album. Alors j'ai décidé de me lancer, sans réfléchir,...

le 13 mars 2013

11 j'aime

1

Du même critique

Starless
Kantien_Mackenzie
10

And the sign signals emptiness for me...

Si vous cherchez des réponses à des questions telles que… Pourquoi dit-on que l’Angleterre l’emporte largement sur la France dans le domaine du rock ? A quoi reconnaît-on une écriture surréaliste...

le 11 avr. 2015

48 j'aime

5

Rubber Soul
Kantien_Mackenzie
10

Introspection, psychédélisme et émancipation

1965 est une année décisive en musique, en particulier pour un quatuor déjà mythique qui livre en quelques mois d’intervalle deux de ses plus grandes pièces. Si Help! était le sommet de ce que John...

le 11 mai 2014

27 j'aime

1

Atom Heart Mother
Kantien_Mackenzie
9

Du psychédélisme au rock progressif

Tout le monde sait que Pink Floyd a réalisé "l'album à la vache", mais le contenu exact de cet album est injustement méconnu. Pourtant, c'est l'une des pierres angulaires du rock progressif,...

le 11 mai 2014

26 j'aime

1