Supertramp
7.3
Supertramp

Album de Supertramp (1970)

Ne nous y trompons pas, Crime of the Century est le chef d’œuvre intemporel qui a propulsé un temps Supertramp au panthéon du rock progressif. Et, oui, Supertramp est ce premier album qui a fait flop et n’a guère été dépassé par son successeur Indelibly Stamped. Cependant, ce que nous avons là n’est pas qu’un simple coup d’essai.


Deux éléments ont contribué à créer l’alchimie Supertramp. Tout d’abord, la rencontre pour le moins académique de Rick Davies et Roger Hodgson, le premier issu de la classe ouvrière, le second d’un milieu aisé, tous deux liés uniquement par une passion commune pour la pratique musicale. Ensuite, l’aide fortuite d’un millionnaire néerlandais qui a eu l’intuition formidable de financer le groupe avant même sa création. A partir de là, Supertramp est prêt à vagabonder à travers les routes sinueuses du rock progressif naissant, enregistrant superstitieusement son premier album pendant la nuit londonienne, pour finalement bénéficier d’une bienveillance critique mitigée et d’une très faible reconnaissance commerciale.


Pourtant, Supertramp a commis là une œuvre d’art qui mérite le détour. Sur le plan technique, tout est bon, à la fois unique et dans l’air du temps. « It’s a Long Road » s’apparente à du Led Zeppelin croisé avec du Procol Harum, et c’est réussi. Une chanson comme « Try again » peut rebuter l’auditeur en raison de sa longueur (plus de 12 minutes incluant un passage pour ainsi dire « à vide »), mais impossible de reprocher quoi que ce soit à son solo de guitare. Les instruments nombreux trouvent tous leur place tout au long de l’album, que ce soit quand ils sont joués à l’unisson ou de manière isolée. Le caractère groovy n’est pas ici l’ingrédient dominant, mais celui qui vient sublimer le tout. Il arrive toujours à point nommé et préfigure ce pour quoi le groupe sera apprécié.


La chanson qui se rapproche le plus de ce que le grand public connaît de Supertramp est « Nothing to show », et si elle peut paraître fade à côté de « Breakfast in America » ou de « The Logical Song », elle prend tout son relief entre « Home Again » et « Shadow song ». Moins accrocheuse et plus spatiale, la musique du super-vagabond primitif privilégie à des gimmicks binaires bien marqués la superposition délicate d’instruments dont chacun joue une ligne mélodieuse et contribue à constituer une texture sonore qui se saisit dans l’instantané. Dès lors, la survenue de moments plus endiablés fait l’effet de coups de théâtres subtils.


Il y a Supertramp, et il y a Supertramp après Supertramp. La rupture est matérialisée par l’absence de saxophone et l’omniprésence de l’orgue. Si le premier ne manque pas, c’est bien parce que le second est magnifique. Qu’y a-t-il à l’origine du célèbre groupe aux tubes intergalactiques que nous connaissons ? Un trésor épars bien enfoui, qui demande un certain investissement pour être dégagé. La chanson « Surely » sert de baromètre : si elle immerge dès les premières notes l’auditeur dans l’univers du groupe en lui donnant l’impression de retrouver un vieil ami, c’est plutôt bon signe. Ce même auditeur sera alors ravi de la retrouver à la fin du disque après être passé par des paysages sonores magnifiques. « Words Unspoken » est ainsi un véritable joyau qui a la couleur de l’émeraude et le goût du citron vert. Aussi inquiétant qu’inachevé, le sentiment exprimé par cette chanson est servi par le respect scrupuleux d’une partition millimétrée.


L’album est sérieux mais n’en propose pas moins des expériences psychédéliques alléchantes. « Aubade and I am not like other birds of prey » donne l’impression de voler à dans l’atmosphère au-dessus des champs et des maisons. La voix éthérée de Roger Hodgson et ses boucles de guitare hypnotisantes s’y marient parfaitement avec l’orgue implacable de Rick Davies. Cela évoque un peu certains passages de A Saucerful of Secrets de Pink Floyd. Cette ambiance va de pair avec le sens profond des textes, comme dans la plupart des albums du genre. Les paroles sont signées Richard Palmer, joueur de balalaïka et futur parolier de King Crimson, et sont d’une beauté parfois obscure, parfois tragique, qui se fond naturellement dans l’intimisme dégagé par la musique. La quête de puissance, qui constituera l’une des signatures poétiques du groupe, est d’ores et déjà illustrée par des déclarations dont la flamme fragile menace de s’éteindre au moindre souffle de vent : « Give Me the sky, I would take the whole world in my hand » sur « Maybe I’m a Beggar ».


Pas forcément facile d’accès, cet album est indispensable pour tout amateur de Supertramp, qu’il saura ravir en échange d’une écoute attentive. C’est injustement qu’on l’a dédaigné dans le passé et qu’on le dédaigne encore aujourd’hui. S’il est hermétique, c’est qu’après tout, il a envie de ne se dévoiler qu’à moitié. Fixez la rose humaine dans les yeux et essayez de deviner ce qu’elle pense. Faites tourner sur votre platine l’objet qu’elle abrite, et vous aurez peut-être un début de réponse.

Kantien_Mackenzie
8

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs premiers albums, Les meilleurs albums de Supertramp et 1001 albums à écouter avant l'Effondrement

Créée

le 17 mai 2020

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