Révolutions, c'est un peu l'album des rendez-vous manqués. Ben oui, un album portant ce titre qui sort en 1988, soit un an avant le bicentenaire de la Révolution française, c'est ballot. Quand on sait, en outre, que Jarre se voit refuser l'opportunité de monter un grand concert à Paris le 14 juillet 1989, laissant la place à un défilé de Jean-Paul Goude, on se dit que cette thématique ne lui aura décidément pas porté chance.


D'un autre côté, l'album est tellement boiteux qu'on peut se dire, a posteriori, qu'il est préférable que les choses se soient déroulées de cette manière... Dans ma chronique sur Rendez-Vous, l'opus précédent, je parlais de tiraillement dans le travail de Jarre. Elle est plus que jamais à l’œuvre dans ce nouvel album, qui alterne l'excellent (la suite "Révolution Industrielle", "L’Émigrant", "Révolution, Révolutions") et le risible ("September", "Tokyo Kid"), entre deux tranches d'à peu-près pas franchement inspirés ("Computer Week-End", "London Kid").


Tout commence pourtant avec brio. Des percussions évoquant le le choc de marteaux sur des enclumes introduit le formidable "Révolution Industrielle : Ouverture", qui décline ensuite une mélodie sombre, rehaussée par deux fois de solos solides (derrière lesquels on croit sentir la patte toujours inspirée dans l'exercice de Dominique Perrier), sur une ligne rythmique riche et syncopée. On est pile dans le thème, rien à redire.
Même chose dans les trois morceaux qui suivent, déroulant en trois parties et dans le même état d'esprit musical la suite "Révolution Industrielle". On remarque la froideur des sonorités, les percussions électroniques qui claquent avec sécheresse, atténuées par la relative profondeur de la production. L'articulation entre les morceaux, les variations de tempo, la cohérence de l'ensemble, tout est parfait jusqu'à la dernière note, majestueuse.


C'est après que ça se gâte.
Survient d'abord "London Kid", tentative d'électro-rock un rien naïve, bien qu'assez élaborée dans l'écriture, où perce le son de la guitare de Hank Marvin, légende du groupe The Shadows (qui a d'ailleurs repris "Équinoxe IV" de l'ami Jean-Mimi). On est plus du côté de la ritournelle gentillette que de l'hymne "guitar hero", et ça sonne un peu juste après la sublime ouverture du disque. Mais bon, ça passe encore.


Vient ensuite le morceau éponyme de l'album, qui existe désormais en deux versions. Une première, où la mélodie est interprétée à la flûte turque, mais que Jarre ne peut plus publier en raison d'un problème de droits avec le flûtiste. Et une deuxième, où la dite flûte est remplacée massivement par un ensemble de cordes - c'est ainsi que le morceau est joué lors du concert de La Défense, le 14 juillet 1990 (compensation très réussie au rendez-vous manqué que j'évoquais au début). Je préfère d'ailleurs la deuxième version, moins ethnique certes, plus classique, mais plus efficace.
Construit sur un seul accord qu'animent des lignes de séquences de basse et de synthé parfaitement imbriquées, ainsi que des mots lancés au Vocoder par JMJ himself, "Révolutions" est un titre percutant, surtout en concert.


Et après, tout s'écroule.
"Tokyo Kid", sorte de ballade free-jazz dont l'insupportable trompette bouchée traîne sa plainte erratique sur plus de cinq minutes. "Computer Week-End", bluette niaiseuse et interminable sur fond de bruits de vague, avec son lead plus gluant qu'une flaque d'algues. "September", plus naïf tu meurs, avec ses chœurs africains qui chantent "gnin-gnin" (je vous jure) en mode gnangnan, faisant de cet hommage à la courageuse Dulcie September un ratage indigne.
Pas grand-chose à sauver de ce magma.
Le final intitulé "L’Émigrant" relève heureusement le niveau, dans un style un peu pompier certes, mais avec majesté et puissance, au fil d'une mélodie très émouvante.


Révolutions est donc un album schizophrène, le docteur Jekyll des titres "Révolution" rongé sans répit par le Mister Hyde des autres morceaux. Drôle de disque, hanté par le son glacial du Roland D-50 et par des tentatives de renouvellement musical qui ne convainquent pas. Il faudra bien la chaleur des "Calypso", deux ans plus tard dans En attendant Cousteau, pour redresser la barre.

ElliottSyndrome
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le 18 févr. 2020

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