Sous une lune bleue, j’ai vu un chef-d’œuvre

Un beau jour de 1983, Ian McCulloch a une idée de génie. Après avoir atteint les sommets du post-punk, il décide de laisser parler de manière plus évidente ses aspirations pop et son amour pour Jacques Brel. Ajoutant des cordes à la musique sombre, brumeuse et parfois psychédélique qui la fait connaître.


Ocean Rain est donc un tournant pour Echo and The Bunnymen.


Commercial tout d’abord. Car il permet de confirmer la percée du succès de leur Porcupine en atterrissant en quatrième place des charts britanniques et en y restant plusieurs mois. Même les Américains entendront parler de ce petit groupe British et les singles se vendront bien, notamment « The Killing Moon ». Leur chanson qui est passée à la postérité. Si bien que les moins informés feront l’erreur de considérer cette bande comme un "one hit wonder".
Ce disque est également un tournant stylistique. Si leurs racines post-punk ne sont pas délaissées, elles sont mises de côté pour... Pour quoi déjà ? Voilà toute la problématique de cette œuvre compliquée à classer. On y trouve des orchestrations sublimes (le romantique « Nocturnal Me » ou le morceau titre), des guitares acoustiques qui feront le prestige de la jangle pop de Felt et de Lloyd Cole and The Commotions (« My Kingdom » et « The Killing Moon »). Ou encore du rock psychédélique (« The Yo Yo Man » et le déjanté « Thorn of Crowns » aux accents à la Nick Cave).


Sans le savoir, les petits gars de Liverpool s’insèrent dans le train du rock alternatif qui commence à faire parler de lui. The Cure s’apprête à devenir une formation générationnelle grâce à son The Head on the Door qui s’est vendu comme des petits pains. Les Smiths bénéficient du même élan commercial et U2 est aussi sur le point de prendre ce grand virage d’une musique aux influences bigarrées mais difficile à catégoriser.
S’il a engendré une vague gothique très active et que certains albums notables continuent d’apparaître, le post-punk anglais commence tout doucement à s’évaporer au milieu des années 1980. A l’image de la new wave qui a finalement laissé place à la synthpop, le post-punk passe le relai au rock alternatif qui explosera lors de la décennie suivante.


Ocean Rain recèle pourtant une musique d’une maturité impressionnante. Comme si ce quatuor avait toujours su comment orchestrer cette rencontre entre pop baroque, psychédélisme et mélancolie new wave.
Ce qui peut paraître étonnant n’est finalement que logique. Les ambitions pop de Echo, même si elles n’étaient pas forcément évidentes, étaient présentes dès leurs débuts. Cette fois-ci, elles sont tout simplement assumées jusqu’au bout. Ce qui permet de mettre en valeur un songwriting étincelant qui n'attendait que cette mutation sonore pour exploser au grand jour et conquérir les oreilles les plus récalcitrantes à leur rock héroïque. L’hymne de la Lune Meurtrière est un choix évident pour le prouver. Toutefois, il ne faudrait pas non plus oublier « Silver » dont les "lalala" chantés par McCulloch sont galvanisants. « Seven Seas » balance, l'air de rien, un puissant refrain entêtant et c’est grâce à cette voix transcendant des compositions de grande valeur. Qu’y a-t-il de mieux pour verser sa larmiche qu’écouter le Mac s’égosiller sur la dernière piste ? Ce fanfaron se prend pour un crooner dans ce chef-d’œuvre de pop orchestrale. Ça aurait pu être lourd et kitsch. C’est beau, soyeux et légèrement désenchanté. Une conclusion en forme de chant du cygne pour ces Hommes Lapins.


Car si on peut légitimement considérer Ocean Rain comme l’aboutissement de leur carrière (il sera joué, dans son intégralité, en concert vingt-quatre ans plus tard, ce qui signifie qu’il est légendaire), il marque, par la même occasion, le début de la fin.
En se réinventant, Echo & The Bunnymen donne tout ce qu’il lui reste et n’atteindra plus, de nouveau, de telles hauteurs à l’avenir. La génération suivante (c’est-à-dire la britpop) s’en souviendra. Mais pas le groupe lui-même qui crachera à la gueule de son propre mythe une décennie plus tard.


Même s’il s’agissait d’une plaisanterie au départ, Ian McCulloch affirmait qu’Ocean Rain était le plus grand album jamais fait à sa sortie. Au regard de ce qui a été accompli depuis, je n’ai pas la moindre volonté de contredire cet excès de prétention tant ce disque s’avère toujours magique aujourd’hui.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 24 oct. 2017

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