Ces deux soirs là, à St Paul de Vence, les 25 et 27 juillet 1970, Albert Ayler a été un homme heureux. Au milieu des œuvres d’art, entouré de l’homme qui marche de Giacometti et de l’oiseau lunaire de Miro, il est aimé. Enfin. Albert Ayler aspire à la reconnaissance, son art est difficile, brut, viscéral. Ni intellectuel, ni poseur, il n’a pas mis de distance entre lui et le public, il offre son âme, la poitrine est découverte, nue.


Albert Ayler aime venir en Europe, il se souvient de son passage à Orléans en tant que GI au service de l’oncle Sam et des US Go Home peints sur les murs, il se souvient aussi qu’il était déjà aimé quand il jouait de façon si bizarre du sax ténor avec son anche coupée, pour mieux sortir son énorme son. L’Europe lui fait plutôt bon accueil, enfin pas partout, pas toujours, il y aura aussi des quolibets, des moqueries, faut dire qu’il aime jouer des ritournelles, qu’il interprète la Marseillaise avec entrain, qu’il se moque des règles de l’interprétation. Il subjugue autant qu’il choque, alors il faudra patiemment creuser son chemin et faire sa route.


Aimé Maeght était un mécène et un commerçant d’art. Fou de jazz et de modernité il se passionne pour la musique contemporaine et le free Jazz et créé à partir de 1965, à St Paul de Vence, les Nuits de la Fondation Maeght où se côtoient la danse contemporaine, l’architecture, la peinture et bien sûr la musique. Lors de ces rencontres on peut côtoyer Xénakis, Terry Riley, Boulez, Sun Râ (les fameux concerts), Cecil Taylor (fabuleux), Messiaen, La Monte Young et bien sûr Albert Ayler


Ces enregistrements témoignent de ces nuits-là, de cette reconnaissance si attendue, de l’émotion et de la fierté de se voir ainsi reconnu et compris. Ces enregistrements portent aussi leur part d’ombre, reflet en négatif du miroir qui se brise en dévoilant la face sombre et cachée d’une âme torturée par l’incompréhension et le mal-être. Ce triomphe marquera le point culminant de sa carrière d’artiste. A St Paul de Vence, il a fait un malheur, c’est sa consécration définitive, il est rappelé six fois, huit fois, dix fois écrit Daniel Caux sur les notes de pochette…


Le retour à New-York sera un véritable cauchemar, après la lumière, la nuit, la mort voulue.
Impulse lui tourne le dos, sa mère lui fait de graves reproches, certains l’accusent de flirter avec le rock et se détournent de lui. Après avoir été élevé au statut de génie, le voilà reléguer au simple rang d'artiste de cirque...


Chienne de vie...

xeres
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Albert Ayler et Du Free Jazz sans concession!

Créée

le 6 févr. 2017

Critique lue 274 fois

3 j'aime

2 commentaires

xeres

Écrit par

Critique lue 274 fois

3
2

Du même critique

Lanquidity
xeres
10

Un voyage dans le "Space-Jazz-Rock"...

Plus que tout autre, Sun Ra est une bibliothèque, il a parcouru, lu et écrit l'histoire du jazz, de l’intérieur, il a vécu les évolutions et participé aux révolutions. Membre actif de cette longue...

le 28 févr. 2016

27 j'aime

10

Bitches Brew
xeres
10

Critique de Bitches Brew par xeres

Ce qui frappe en premier lieu, c’est la beauté de la pochette créée par Mati Klarwein. On la devine symbolique, plus particulièrement quand elle s’offre déployée, pochette gatefold ouverte. On...

le 5 mars 2016

24 j'aime

9

Both Directions at Once: The Lost Album
xeres
10

Critique de Both Directions at Once: The Lost Album par xeres

« Il » est arrivé ce matin, bien protégé, sous cellophane, belle pochette avec deux triangles découpés laissant apercevoir la sous-pochette… Le vinyle avec le prestigieux macaron « Impulse »,...

le 2 juil. 2018

23 j'aime

7