Lanquidity
8.3
Lanquidity

Album de Sun Ra (1978)

Un voyage dans le "Space-Jazz-Rock"...

Plus que tout autre, Sun Ra est une bibliothèque, il a parcouru, lu et écrit l'histoire du jazz, de l’intérieur, il a vécu les évolutions et participé aux révolutions. Membre actif de cette longue histoire, depuis la fin des années trente où il côtoie déjà les jazzmen de renom.


Sa route est semblable à nulle autre. Il réussit tous les défis, maintenir en vie un grand Orchestre pendant de longues décennies, créer un label indépendant, vivre de façon autonome de sa musique sans jamais vendre son âme, épouser les modes en gardant intacte sa personnalité artistique. Il est aussi précurseur de la musique électronique, passeur vers la musique la plus libre, brisant les académismes et les contraintes, promoteur du renouveau de la musique Africaine, de ses rythmes. Il faut encore ajouter poète, philosophe, gourou et sorcier cosmique…Sun Ra est tout ça et sans doute plus encore…


Il a commis, parmi de multiples ballons d’essai lancés aux quatre coins des mondes de la musique, quelques disques-somme, comme des phares ou des bouées, ici et là placés, pour ne pas se perdre, pour baliser le chemin. On pense à The Nubians Of Plutonia, The magic city, The Mystery of being ou Lanquidity. Tout au long des décennies la musique de Sun ra reste identifiable, il y a des couleurs qui l’habitent, une unité de style qui la caractérise. C’est une musique sereine qui dépasse les genres, vous prend par la main, vous guide et vous emmène…


Ce disque de 1978 cumule les qualités parfois éparses sur d’autres albums. En plus de la maîtrise de la composition et de l’orchestration, on retrouve les rythmes bouillonnants bien sûr, mais aussi cette musique « spatiale » qui vous emmène et vous déplace. Ici, au pays de lanquidity, il faut rajouter la perfection du son, des arrangements et de la production. On y trouve aussi une ouverture vers le « Space-Jazz-Rock ». Si l’on y entend de multiples influences, elles sont toutes digérées et dépassées grâce à la baguette intersidérale de notre Grand Mage. Bien sûr Sun Ra n’a pas attendu Miles Davis pour utiliser des moogs et autres synthés, c’est même lui le précurseur, celui qui a montré la voie, au détour d’une vibration, d’accords plaqués, répétés, avec la lenteur adéquate, on sent l’appropriation, mieux : la fusion, peut-être la présence des guitares, l’éclatement des tensions… C’est un voyage qui vous est ici proposé, appuyez sur le bouton « On » (oui, le vert) et c’est parti…


Ce disque est un cinq étoiles, une par titre : Lanquidity figure un univers flottant dans lequel on se déplace, immatériel, il se dessine au fur et à mesure de notre cheminement, en une longue parade qui avance majestueusement et s’écoule lentement tel un long fleuve qui se révèle être en apesanteur. La rythmique est de plomb mais nous sommes liquide, vapeur et fumée, paradoxe apparent digne de la complexité du Grand Céleste. Tout change, évolue, se transforme dans cette onirique traversée.


Where Pathways Meet et That's How I Feel sont funkys, dansants : rythmes syncopés, riffs envoûtants, deux guitares et une basse électriques, trois batteurs, trompette stridente d’Eddie Gale et solo de feu de John Gilmore (That’s how I Feel)… Artau Katune, Mickaël Anderson, Luqman Ali et Richard Williams bâtissent une armature solide, répétitive, un écrin rythmique velouté sur lequel les envolées les plus aériennes peuvent délicatement se poser. Pulsations élastiques, Funk et fusion, danse sur la braise !


Sur Twin Stars Of Thence, Sun Ra utilise un piano électrique Fender Rhodes qui accentue l’aspect électronique typique de cette décennie, échappant cependant à tous les clichés du jazz-rock servis à la louche à cette époque, tant la musique est personnelle et la démarche de Sun Ra unique. Danny Thompson et le son chaud du baryton en sont, entre autres, le garant.


L’album s’achève avec le fabuleux There Are Other Worlds (They Have Not Told You Of) où les voix se mélangent en une douce mélopée, profonde et hypnotique, en écho au morceau d’ouverture le voyage se prolonge dans un univers fantastique où les voix d’outres-mondes nous parviennent et chuchotent à nos oreilles… Tout se déstructure petit à petit, devient fêlure, cassure et fracture, la musique se fait atonale, seul reste le groove, la réalité s’efface en un monde abstrait, un autre monde, celui des épisodes à venir, car il n’est pas aisé de quitter ces contrées là sans en garder la nostalgie…


Ce disque représentant certainement une des portes d’entrée les plus évidentes pour aborder l’œuvre protéiforme du Grand Mage…
Bon voyage!


Écrit en février 2012

xeres
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Créée

le 28 févr. 2016

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