Originaires d’un petit bled normand, les membres de Cannibale font de la musique ensemble depuis belle lurette. Issus d’amitiés de collège, ils transitent par de nombreux groupes inconnus au bataillon, et ce n’est que passé la quarantaine qu’ils acquièrent une petite notoriété lorsque le label Born Bad Recods décèle leur potentiel.


Leur rock psychédélique sautillant et exotique les rapproche de Forever Pavot, autre signature du label. Comme eux, ils ont des influences éclectiques et une appétence pour le chill. Cependant, la musique de Cannibale a quelque chose de plus direct et est restée globalement plus fidèle à la tradition garage. Elle rappelle les morceaux de groupes tels que 13th Floor Elevators, The Electric Prunes ou encore Jefferson Airplanes. Le break envoûtant de « Three Minute God », entre autres, est dans le plus pur esprit de la compilation « Nuggets ».


Le style de Cannibale est cependant foncièrement original et ne saurait se réduire à un revival des années 1960. Ce qui le différencie est surtout son côté dub, affirmé par les contre-temps saillants de la guitare électrique et par des rythmes atypiques. Il y a là des résonantes caribéennes qui contribuent à rendre cette musique ensoleillée. On ne jurerait pas que l’album a été enregistré dans une région où il est censé pleuvoir tout le temps.


Le son d’orgue gorgé de delay est une autre de leurs marques de fabrique. Quand ce delay se cale sur le tempo de « Speck of Dust », en jouant sur les aspérités et le volume, c’est fort réussi. On retrouve aussi les sonorités étouffées de batterie trafiquées par Kevin Parker pour Lonerism, ainsi que l’incandescence de Temples au niveau des chœurs. Le groove amené par la complémentarité entre basse, guitare et clavier évoque également les Stranglers. Les accords plaqués par le claviériste fonctionnent parfaitement et constituent un élément clé de la rythmique, comme dans le jeu de Dave Greenfield (petite pensée pour lui, décédé du Covid-19).


L’enregistrement s’est fait à la maison et non dans l’anonymat d’un studio : le groupe ne craint pas les imperfections et n’a pas pour volonté de livrer une production bien lissée mais à faire entendre son geste de création. Ainsi le guitariste confie-t-il dans une interview : « Pour être franc, à la base pour ce disque, on envisageait d’emmener les maquettes en studio, mais finalement, petit à petit, on a pris conscience que les maquettes étaient déjà l’album ».


Le fait d’enregistrer au sein d’un environnement doté de grands espaces a également concouru à l’aspect méditatif que l’on trouve de manière récurrente sur le disque, par exemple sur « Rythm of Fire » quand arrive le refrain : « One second becomes a year »… Ou bien sur « Diabolik Prank », où le chanteur répète à l’envi cette phrase libre d’interprétation qui apparaît d’une lucidité cinglante : « There will never be blue skies without tears ».


Les touches de sérieux n’enlèvent rien au fait que la musique de Cannibale reste avant tout propice à l’évasion et au laisser-aller. Des morceaux comme « Mama » ou « Choppy Night » invitent à la danse. Le titre introductif « No Mercy for Love » annonce une ambiance festive à la Magical Mystery Tour et la promesse est tenue : les refrains font mouche et nous emportent. Les couplets de « Caterpillar » évoquent le reggae/rock de The Police, mais contrairement à ce groupe qui marchait sur la lune, Cannibale garde les pieds bien sur terre.


L’ambiance des morceaux réserve quelques surprises, par exemple sur « Hidden Wealth », plus caverneux et tendu que la moyenne : l’orgue évoque celui de Rick Wright sur A Saucerful of Secrets et il y a aussi un petit côté Syd Barret dans le chant… Une autre (bonne) surprise est le titre final « Hoodoo Me » où le chant prend des accents glam, aussi entraînants que les accents plus psyché, avant que l’album ne se termine par une minute expérimentale gagnée par le chaos – conclusion étonnamment sombre pour un album si gai.

Kantien_Mackenzie
8

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le 7 juin 2020

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