Zoolook du pauvre (et c'est pas gentil pour Zoolook)

Dans les interviews qu'il donne à l'époque, que ce soit au sujet de l'album ou du concert qu'il organise juste avant sa parution au pied des pyramides de Gizeh, pour le réveillon de l'an 2000, Jean-Michel Jarre paraît fatigué. Une impression bizarrement renforcée par sa coupe de cheveux courte, lui qu'on a toujours connu affublé d'une tignasse indomptable ; dans son visage soudain dégagé, les cernes se dessinent marquées, et une expression d'abattement semble affaisser ses traits.
Quelque temps auparavant, l'artiste s'est séparé de sa compagne de très longue date, Charlotte Rampling. Il ne travaille plus non plus avec Michel Geiss, l'âme technique (et pas que) de ses projets depuis Équinoxe, dont il ne faut pas négliger l'absence pour comprendre le long tunnel dans lequel commence à s'engouffrer le compositeur.


Métamorphoses est à l'image de son créateur : plombé de lassitude, à la recherche d'un nouveau souffle qui ne vient pas. Pour se renouveler, Jarre a pourtant eu l'idée de travailler sur un matériau qu'il négligeait jusqu'alors : les voix. Pas des chœurs, qui par le passé avaient épaissi certaines de ses compositions les plus emphatiques ("Rendez-Vous II" et "III", "Chronologie I") ; pas non plus des voix remodelées comme matière sonore, comme dans Zoolook : non, des "vraies" voix qui chantent ou qui parlent, parfois naturelles, parfois filtrées tout de même au vocoder. On entend sa propre voix ("Je me souviens", "Rendez-Vous à Paris", "Hey Gagarin"), mais aussi celles d'invité(e)s comme Natasha Atlas ("C'est la vie"), Dieirdre Dubois ("Miss Moon") ou Ozlem Cetin ("Silhouette").


La qualité du résultat est très diverse selon les morceaux, allant du moyen sympathique au catastrophique. La faute, globalement, à une production froide et hyper numérique, confiée au DJ Joachim Garraud, très heureux de travailler avec Jarre mais dont l'approche appauvrit le son habituel du compositeur.
Commençons par évoquer les titres à proscrire : "Love love love", indigent dans toutes ses dimensions (sons dégueulasses, ligne vocale débile, composition plus faiblarde) ; "Give me a sign", chanson proto-pop dans l'esprit du groupe Space mais sans la fraîcheur ni l'énergie ; "Tout est bleu" (rien que le titre, bordel !), dont je sauve la superbe ligne de basse au milieu du morceau, éclair qui ne sert qu'à foudroyer la bêtise abyssale de ce qui l'entoure, surtout les paroles.


En dépit de son minimalisme un rien pauvret, incarné par un son de piano d'une banalité déconcertante chez Jarre (première fois qu'il recourt à cet instrument dans sa discographie !), "Je me souviens" en ouverture fait le job, avec l'apport vocal de l'incontournable Laurie Anderson. Bien que trop long et répétitif, "C'est la vie", interprétée par la magnifique Natasha Atlas, insuffle dans la foulée une belle énergie à l'album. J'aime aussi le troisième titre, "Rendez-Vous à Paris", où vient se poser le violon de Sharon Corr (du groupe The Corrs) ; un peu dans le même esprit musical que "Je me souviens", mais efficace. Tout comme l'est le suivant, "Hey Gagarin", qui aurait été encore plus fort avec une orchestration plus étoffée et des sons moins plats. Même chose, un peu plus loin, pour "Bells" et sa curieuse mélodie jouée avec un son de cloche pas forcément heureux.


Je retiens aussi, plus particulièrement, les expérimentations de "Miss Moon" (mon préféré de l'album), qui me fait étrangement penser (association d'idée très personnelle) au morceau "Himalaya" de Vangelis dans son album China, par son étirement fascinant et son atmosphère envoûtante ; et le final "Silhouette", souvent méjugé alors qu'il clôt joliment l'album.


Le reste est honorable, la mélancolie de "Millions of Stars" répondant à celle de "Gloria, Lonely Boy", alourdie par des orchestrations de cordes fort peu gracieuses (œuvres du balourd Yvan Cassar).
Néanmoins, l'ensemble de l'album, composé pour la première fois depuis Zoolook de morceaux séparés, sans transition entre eux, manque d'épaisseur, de profondeur, d'idées neuves. Tout transpire la fatigue, l'inspiration en berne.
Pourtant, avec le recul, cela reste un album honorable. Forcément, à la lumière de ce qui va suivre dans les années 2000, n'importe quel disque un tant soit peu travaillé - ce qui est le cas ici - s'éclaire d'un jour flatteur...

ElliottSyndrome
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le 21 févr. 2020

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ElliottSyndrome

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