L.A. Woman
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L.A. Woman

Album de The Doors (1971)

Après les Stones, les Doors doit bien être le groupe qui m'a le plus marqué, découvert durant ma tendre enfance grâce aux casettes audio de mon paternel et, en six albums studio, ils ne m'auront jamais déçu et proposés une carrière fantastique jusqu'à L.A. Woman, chant du cygne sorti deux mois avec la mort de Jim Morrison.


Le Roi Lézard cristallise d'ailleurs toutes les attentes et interrogations à l'heure où son physique (devenu bouffi et barbu) et sa voix ont changé, ce qu'on pouvait déjà entrevoir dans le remarquable Morrison Hotel. Il a mué et il y a comme une impression que le groupe s'est adapté à lui, proposant une ambiance plus bluesy et assez rock, collant à merveille avec cette nouvelle voix (quasiment méconnaissable lorsqu'on écoute les premiers titres du groupe, enregistré seulement quatre années avant celui-ci). Ce son vient aussi de la part de musiciens additionnels (notamment Jerry Scheff à la base) venu compléter un quatuor en pleine forme et en parfaite osmose, bénéficiant d'une production assez brute et allant dans le sens de la direction musicale du groupe.


You gotta see me change, see me change


Dès le premier titre le groupe donne le ton, le funky The Changeling permet à Morrison d'hurler ce que l'on voit et entend, You gotta see me change, see me change. Ce dernier montre que malgré ce changement, il a encore le sens du rythme et de l'intonation, alors que derrière lui, Robby Krieger signe une rythmique implacable et diaboliquement efficace, et, comme sur l'ensemble de l'album, John Densmore assure à la batterie, idem pour le génial Ray Manzarek qui se montre, sur cet album, inspiré comme rarement, tant dans son jeu qu'à la création.


Autant le dire tout de suite, il n'y a strictement rien à jeter dans cet album, toutes les chansons sont adéquates à l'atmosphère qui ressort de l'album, une atmosphère habitée, presque hantée, la mort de Morrison était déjà arrivée, et il y a comme son fantôme qui roule entre les pistes, qui roule pour ne jamais s'arrêter. Musicalement, vu que l'on reste dans un esprit souvent bluesy et rock, c'est bien retranscrit par une production qui ne bride pas le son des Doors, le groupe s'étant séparé de leur habituel producteur Paul A. Rothchild, qui n'appréciait pas la nouvelle direction musicale du quatuor.


Miné par des problèmes judiciaires et de dépendance (alcool, drogues…), le poète Morrison se montre, malgré cela, inspiré et arrive à mettre de côté tous ces soucis pour enregistrer. Comme tout au long de leur carrière, le groupe montre ces capacités à varier entre différents registres, à l'image de la jolie chanson Love Her Madly, de l'excellent blues-rock Been Down So Long, avec un remarquable jeu de guitare de Robby Krieger ou du très bon et sombre blues Cars Hiss By My Window.


Commandé mais non gardé par Antonioni pour le film Zabriski Point, L'America se rapproche un peu de l'ambiance des premiers albums du groupe, et se révèle aussi puissante que lourde et sombre. Plus apaisé, Hyacinth House se révèle aussi belle que mélancolique, notamment grâce à l'orgue de Manzarek tandis que le groupe retrouve avec brio un son plus blues avec l'excellente reprise de John Lee Hooker Crawling King Snake. The W.A.S.P. (Texas Radio & The Big Beat) permet au Roi Lézard de dévoiler son âme de poète sur une mélodie répétitive, morceau que les Doors jouaient déjà en concert depuis quelques temps.


L'ambiance est donc assez rock et bluesy, toujours prenante mais aussi assez mystérieuse et oscillant entre sombre et parfois enjouée, mais c'est sans compter les deux morceaux de bravoures de l'album, ceux qui clôturent les deux faces et qui emmènent, une dernière fois, les Doors à des sommets rarement atteints dans la musique contemporaine.


Mr Mojo Raisin'


Ode au Los Angeles nocturne ainsi qu'à une de ses femmes, L.A. Woman démarre sur un tempo assez rapide et entrainant, où Morrison chante de façon assez sombre, notamment grâce aux variations dans sa voix, surtout dues à l'alcool. Répétant au milieu un anagramme de Jim Morrison, après que le tempo se soit calmé, il retranscrit toute une ambiance nocturne, assez sombre et donne une dimension particulière à cette composition.


Sweet memory will die


Chanson aussi incroyable que mythique, Riders on the Storm conclut la carrière des Doors, et se révèle tout simplement magistrale, aussi puissante que triste et qui me renvoie à de nombreux souvenirs. Il y chante la mort, trempée par des sons de pluies et d'orages et, comme la précédente, prend une dimension particulière, où chaque musicien joue une partition tutoyant les cieux, à l'image des intenses montées de guitare et d'orgue. L'une des plus grandes et fortes chansons qu'il m'ait été donné d'écouter, achevant un album tout simplement remarquable, un chant du cygne où plane déjà l'esprit et le futur fantôme de Morrison.


Jim Morrison n'est plus depuis deux mois lorsque L.A. Woman sort et les Doors enregistrent un immense album, un chant du cygne où plane déjà le fantôme du poète, un poète transformé par son mode de vie mais chantant toujours le blues et le rock aussi bien. L'osmose régnant au sein du groupe est parfaite malgré les problèmes durant les sessions, ils livrent deux faces inoubliables, teintées d'émotions, avec une réelle atmosphère et se concluant chacune par un monument.


Le numéro 3 ce sera moi, disait Jim Morrison dans les bars, évoquant les décès de Jimi Hendrix et Janis Joplin. La mort l'attendra à Paris, rue de Beautreillis, mais son œuvre restera éternelle et jamais ne mourra.


Face A :


1.The Changeling - 4:21
2.Love Her Madly - 3:20
3.Been Down So Long - 4:41
4.Cars Hiss by My Window - 4:12
5.L.A. Woman - 7:53


Face B :


6.L'America - 4:38
7.Hyacinth House - 3:12
8.Crawling King Snake (John Lee Hooker) - 5:00
9.The WASP (Texas Radio and the Big Beat) - 4:15
10.Riders on the Storm - 7:15

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le 28 juin 2017

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Docteur_Jivago

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