Juno to Jupiter
6.8
Juno to Jupiter

Album de Vangelis (2021)

Son précédent album, le décevant Nocturne, avait des airs de testament crépusculaire d'un artiste parvenu au bout de sa route. Rester sur cette note aurait été triste, mais n'aurait jamais effacé l'immense patrimoine que Vangelis a inscrit dans l'histoire de la musique, qu'elle soit électronique ou non.

Heureusement, un peu à la surprise générale, un nouveau projet a fini par être annoncé. En raison d'une sortie éphémère et non autorisée durant l'été 2020 à l'occasion d'un imbroglio juridique assez étrange, on a craint que cette bévue condamne la parution officielle du disque. Puis, après quelques mois de valse-hésitation, Juno to Jupiter est finalement advenu pour de bon, et restera donc comme le dernier disque de Vangelis (paru de son vivant en tout cas, car il est probable que ses archives soient riches et nous valent peut-être encore quelques publications dans les années à venir).

Et, le moins que l'on puisse, c'est que cet album nous rassure sur les capacités créatrices du maître grec.

Juno to Jupiter est sans doute trop long et un peu inégal. Je l'ai écouté un certain nombre de fois depuis sa sortie, et j'ai encore aujourd'hui du mal à en faire le tour, ou à savoir par quel bout le prendre.

Par bien des aspects, c'est un Vangelis d'aspect classique. On y retrouve la profondeur inimitable de la reverb qui enveloppe toutes ses compositions, en particulier depuis les années 90 ; ainsi que les ingrédients sonores les plus familiers du compositeur : cordes planantes, percussions lourdes, cuivres tonitruants, et écriture musicale d'une grande emphase opératique, ainsi que plusieurs incursions vocales auxquelles Vangelis avait pris goût dans certains de ses projets les plus récents (cf. El Greco, Mythodea).

Des titres plus électroniques, appuyés sur des boîtes à rythme ou des séquences, s'intercalent pour créer des ruptures, pas forcément très marquées du reste mais qui ont le mérite de surprendre l'auditeur et de l'empêcher de sombrer tout à fait dans un bien-être plus ou moins indifférent à ce qui se joue sur la platine. Le résultat n'est pas toujours heureux ("Inside our perspectives"), ou rappelle du déjà entendu ("Space's mystery road", dans le style de BR25, l'album hommage à Blade Runner), mais la variété qui en résulte rappelle que Vangelis n'a pas toujours été le compositeur néo-lyrique que son travail depuis 1492 semble avoir figé comme image définitive de son héritage musical.

Le tout évoque nombre de partitions antérieures du compositeur, de Mask ("Out in Space" à Alexander ("Juno's Power", qui rappelle le thème "bombastic" du film), preuve supplémentaire que Vangelis ne se renouvelle plus guère, mais sait toujours bien faire ce qu'il a su faire durant ses 50 ans de carrière. Sans génie, mais avec un talent indéniable.

S'il y a des belles choses dans le disque (l'enchaînement "In the magic of Cosmos" / "Juno's tender call"), aucune n'accroche suffisamment l'oreille pour donner envie d'y retourner. Beaucoup de thèmes, pas un seul de véritablement marquant. Pas de "Conquest of Paradise", pas de "Voices" ou de "Closing Titles" de Blade Runner, pour ne citer que les plus évidents. D'où la difficulté à se faire un avis précis sur ce disque.

Sur le fond, rien de neuf non plus, Vangelis mêlant sa fascination pour l'espace, son immensité et la manière dont l'homme entreprend de l'explorer (cf. Rosetta, Mythodea), à des références mythologiques. Ces dernières lui sont d'ailleurs servies sur un plateau, puisque l'album s'appuie sur une mission spatiale en cours : l'envoi de la sonde Juno vers Jupiter pour accroître nos connaissances sur la plus grande planète de notre système solaire. Junon, Jupiter, il n'en fallait pas plus à notre vieux barde pour dérouler une histoire mettant en scène les exploits de la déesse et du dieu sur fond de magie du cosmos.

Une sorte d'album concept en somme, ce qui influe sur la structure du disque : si ce dernier est composé de 18 titres, ces derniers sont tous enchaînés pour former un grand ensemble. D'où, encore une fois, le flou qui reste à l'auditeur une fois l'écoute achevée.

Sans surprise mais tout de même remarquablement écrit, Juno to Jupiter nous rattrape de la catastrophe industrielle Nocturne en nous ramenant sur les territoires les plus familiers de Vangelis. Pour la folie créatrice, le génie éblouissant et l'originalité, on continuera à se réchauffer au feu inextinguible de Heaven & Hell, Mask, Blade Runner, 1492 et consorts, en laissant à cet ultime opus la consolation d'offrir un adieu tout en douceur à un immense compositeur.

ElliottSyndrome
7
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le 5 févr. 2023

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ElliottSyndrome

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