La robotique peut-elle casser des briques ?

Pour résumer vite fait, le Alan Parsons Project est composé de deux figures éminentes. Tout d'abord, celui qui donne son nom au groupe, Alan Parsons, ingénieur du son et compositeur avec un CV déjà chargé : il s'est par exemple occupé de Abbey Road mais surtout des Pink Floyd avec Atom Hearth Mother ou même The Dark Side of the Moon, qui se traîne pépère la réputation d'album le mieux mixé de tous les temps. Cependant, il touche à pas mal d'instrument dans cet album (notamment des claviers et des guitares). L'autre, c'est Eric Woolfson, compositeur, dont de nombreux singles pour Marianne Faithfull, les Herman's Hermits... autrement dit, des artistes influents.


Après le relatif succès de Tales of Mystery and Imagination, basé sur les écrits de Poe, le Project, rempile sur I Robot, basé sur les écrits d'Asimov. Enfin, c'est l'idée de départ, car le groupe n'obtient pas les droits pour. Ils décident d'abord d'enlever la virgule du titre, mais aussi d'ouvrir les thématiques : on parlera non seulement de l'univers d'Asimov, mais plus généralement de robots, d'intelligence artificielle, et une ambiance SF.


En ce qui me concerne, je trouve que cet album est le meilleur de l'APP puisqu'il caractérise à son paroxysme tout ce qui a été fait et tenté de faire dans les autres albums. Premièrement, cette facilité à intégrer dans un même album des chansons progs (I Robot), avec de gros tubes disco "commerciaux" (I Wouldn't Want to be Like You), des instrumentaux souvent planants (Nucleus), des gros sons d'inspirations classiques (Total Eclipse), et diverses expérimentations électro avec des synthés (Genesis Ch.1 V.32). Oui, c'est cela la grande force de l'APP : mêler une composition ordinaire, avec des arrangements symphoniques (grâce à Andrew Powell, fidèle collaborateur). Un des rares albums du groupe qui parvient à mettre tous ces "types" de morceaux dans un même album (le seul autre pouvant peut-être remplir tous ces critères étant The Turn of a Friendly Card)


Pourtant, il était facile de tomber dans des pièges faciles. En effet, nous sommes dans la fin des années 1970, et c'est clairement l'explosion de la popularité du synthétiseur et des sonorités électroniques, ce qu'on va appeler "les effets des eighties" (à titre de comparaison, Supertramp sort la même année Fool's Overture, Kraftwerk sort Trans Europa Express, et Pink Floyd avec son Animals se font une joie à expérimenter ces nouveaux joujoux). Des effets qui ont vite tendance à tomber dans du grand n'importe quoi, nous offrant un son qui aujourd'hui paraîtrait vieilli, voire insupportable. D'autant que la thématique des robots (et donc de la modernité) n'arrangeait pas les choses. Heureusement, Eric Woolfson saura faire preuve de prudence. Mais il reste généreux sur son incrustation. Le synthé et autres bizarreries électroniques, on les entends presque partout (I Robot, Some other Time, The Voice), mais ça reste assez subtil.


Autre chose toute à fait subtile, l'orchestration de Andrew Powell. Alors oui, cette fois on la remarque bien, mais souvent elle apparaît à de courts moments (ce ne sont que quelques cuivres et cordes sur Some Other Time, et il faut attendre la fin de Breakdown pour l'entendre en éclat). Et bien souvent, elle se fait discrète, se contentant d'accompagner. On est loin de l'affirmation tel que The Turn of a Friendly Card ou Silence and I, mais c'est pas grave, ça fait bien le boulot. Surtout sur une orchestration d'accompagnement, qui évite de tomber dans les vices des violons ouin-ouin qui interviennent tout le temps (piège dans lequel beaucoup sont tombés). Finalement, on n'y fait pas tellement attention étant donné son omniprésence, mais ça ne l'empêche pas d'être à sa juste hauteur, histoire de ne pas en faire des caisses non plus.


Enfin, j'aimerai revenir sur le fait que I Robot est sûrement le concept album le plus abouti de groupe. Pas forcément celui avec les meilleurs morceaux, mais celui qui arrive le mieux à les consolider. Déjà, beaucoup de morceaux fonctionne en duo : I Wouldn't Want to be Like You fait un excellent contre-pied à I Robot, Nucleus fait une bonne entrée pour Day After Day, et difficile de séparer Total Eclipse et Genesis Ch.1 V.32. Les autres morceaux (disons toute la première partie de l'album), sont d'excellentes factures -ce qui aide beaucoup- et le silence assumé peut parfois aider (l'arrêt net de I Wouldn't Want to be Like You permet à Some Other Time de rebondir tout de suite). Ce qui en fait que l'écoute se fait sans grand problème : la première partie étant très bonne, il n'y a pas de problèmes, et la deuxième étant bien consolidée, tout se suit (et ce malgré quelques défauts tel que Nucleus qui -on va pas se mentir- est plus chiant que planant).


En résumé, I Robot est un album extrêmement polyvalent, à lui seul il permet d’exhiber toutes les facettes de l'APP. D'autant plus que sa construction est irréprochable. Il n'est pas parfait, mais son écoute se fait aisément, tous les morceaux trouvant leur place, se succédant sans problème, offrant ainsi 40 minutes non-stop, ouvrant un champ des possibles.

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le 17 mai 2018

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