Heu... Comment dire?...

Jusqu'où peut on aller dans le plagiat?
Cette question a fini par m'obséder à l'écoute des derniers sons de Benjamin Epps.

On rentre de suite dans le vif du sujet, la ressemblance avec le collectif GRISELDA et surtout le rappeur Westside Gunn est d'une évidence implacable. C'est pas le premier vous me direz, regardez ce que Young Thug ou Travis Scott ont enfanté dans nos contrées. Hamza et Laylow, pour ne citer qu'eux, sont les 2 premiers noms à me venir à l'esprit. À l'écoute de leurs différents projets, il est évident que le GOAT d'Atl et le texan ont une place prépondérante dans leur direction sonore et artistique.

Alors pourquoi se plaindre de ce que fait Epps?
Eh bien, je pense que le fil qui sépare l'influence et le plagiat est mince et subtil.
Pour ce qui est de Benjamin Epps, tout de Griselda est repris, et pour ce qui est de la subtilité, on repassera.
Les instrus menaçantes Boom Bap à l'esthétique sombre sont la marque de fabrique de Grisleda, même si c'est 2 dernières années, leur son s'est un peu plus ouvert, légèrement diversifié. Epps, avec Le Chroniqueur Sale sur le dernier projet "Fantôme avec Chauffeur", reprend tous les codes : Le tempo lent, le son crasseux, les riffs de piano, le son presque saturé de claviers, la batterie écrasante etc... La ressemblance est choquante dans un premier temps, évidente. Mais pour ceux qui apprécie le travail sonore de Gunn remarqueront que le plagiat reste grossier et manque de finesse.
Epps, lui, utilise toujours un rythme entrainant, un beat bien présent alors que Gunn nous emmène souvent dans des escapades dénuées de "Drums" omniprésents comme sur SUMMERSLAM 88 par exemple. Une direction dans laquelle Epps ne va jamais et pour cause, cela demande une adresse, un raffinement qu'il n'a pas. Ses prods sont loin d'être mauvaises, aucun doute là-dessus, mais une courte visite sur Youtube en tapant "Griselda Type Beat" et vous aurez de quoi lui proposer un nouvel EP.

Ensuite la voix et surtout le flow. Là aussi, comment ne pas écarquiller les yeux à l'écoute, par exemple, de "Kennedy en 2005"? La ressemblance frappe et décontenance. Pour écrire ce papier, je suis allé écouter tout ce qu'a fait Epps depuis ses débuts. Et c'est là que la bât blesse. Aie! J'ai découvert qu'Epps n'est pas un nouveau venu et même si l'amour pour New-York ne date pas d'aujourd'hui, force est de constater qu'à l'époque où il se nommait Kesstate, la voix est la même, évidemment, mais le flow et la texture ne ressemblent pas tout à fait à celle d'aujourd'hui. Alors bien évidemment, on peut parler d'évolution, mais on peut s'interroger sur l'identité vocale d'Epps acquise aujourd'hui. L'aigue de sa voix est plus assumée, comme Gunn, le rythme de son flow est faussement lent, comme Gunn, mais la copie s'arrête là car l'articulation est assez différente due en partie à la langue je pense.
Par contre là où je vois une grande différence est sur les sujets abordés, plus précisément les lyrics et la construction des textes. Par exemple, sur "Pray For Paris", créé après un voyage à Paris qu'il a marqué Westside Gunn. L'importance de la ville, la mode, les gens qu'il a rencontré, ce ressentiment est le fil conducteur du projet mais il y a aussi des références et des échantillons de sports de combat tout au long de l'album, une sorte de lien entre le son et les lyrics. Westside affiche sans vergogne son engouement pour le sport sur les morceaux «French Toast», «Allah Sent Me», «Claiborne Kicks». Ce qui donne une épaisseur en plus des fanfaronades habituels.
L'attitude menaçante et cool de Gunn parait réelle car les mots, la tournures des phrases, les sujets, les références utilisés sont incontestablement travaillés. On a pas le sentiment d'un gars qui lâche ses textes comme un vulgaire Freestyle pour s'imposer aux yeux de tous. Avec Gunn, c'est un constat, les choses sont là, devant vous, c'est accomplie. Ensuite, on aime ou pas.
Benjamin Epps a choisi comme sujet, le "Coup d'état" comme dirait Les Inrocks. Il a choisi la direction d'être plus insolent que la moyenne, délivrant des punchlines grossièrement indécentes. Pourquoi pas mais on frôle plusieurs fois le ridicule dans les paroles et le sujet est toujours le même à chaque son. Mais il faut avouer qu'il n'est pas le seul, loin de là, le rap fr souffre à ce niveau là. Pas forcément du sujet mais on dirait que la construction, la tournure d'une simple phrase est une équation complexe à 6 chiffres pour certains.

Enfin, pour terminer, dire que Benjamin Epps est le futur du rap français alors que la similitude avec Westwide est d'une évidence crue met en lumière cette difficulté à avoir une identité propre au sein du Hip-Hop hexagonale. Les influences ont toujours étaient à la base de nouveaux courants, et c'est justement la réappropriation de genres ou styles qui a permis à différentes villes ou pays d'évoluer vers de nouvelles directions artistiques et ainsi enrichir le Hip-Hop grâce à ces identités nouvelles. Qui peut expliquer ce qu'est le son, en général, du rap fr? Comment le reconnait on?
Quelle est son identité?
On sait aujourd'hui reconnaître le son de New-York, d'Atlanta, Détroit. On identifie facilement la Grime, le Garage UK mais qu'elle est son équivalence en France?
Des questions dont je n'ai pas de réponses et je trouve ça un peu dommage, surtout pour l'avenir.
Attention, le rap regorge de rappeurs talentueux, il n'y a aucun doute mais je ne me mouille pas vraiment si je dis qu'il souffre d'une identité propre et affirmée.
Et voir l'avenir du rap français dans un artiste qui reprend grossièrement les codes d'un style venu de l'autre côté de l'Atlantique sans une relecture et un travail de fond, m'inquiète personnellement.
Mais ça n'est que mon avis après tout.

5/10