Si j'en crois un certain nombre d'avis glanés ici et là sur la toile, les auditeurs ont tendance à préférer le deuxième opus d'Electronica au premier. Ce n'est pas mon cas, en raison notamment d'un trop grand nombre d'interventions vocales donnant des chansons pas toujours très inspirées à mon goût.


Plutôt que "The Heart of Noise", c'est en effet plutôt "The Heart of Voice" qu'aurait dû porter en sous-titre cet album. Là où "The Time Machine" apportait cinq collaborations vocales, celui-ci en aligne huit (ou neuf, si on compte le morceau avec Edward Snowden... on y reviendra). Avec un tir groupé presque d'entrée de jeu, histoire de bien planter le décor et d'entrer dans le vif du sujet de ce disque, à savoir ses saveurs aussi variées qu'inégales.
On a donc, dès la troisième piste, une collaboration synthpop du plus bel effet avec les Pet Shop Boys, suivi d'une échappée éthérée en compagnie de la voix aérienne de Julia Holter ("These Creatures", envoûtant façon minimaliste). Jusqu'ici, ça va.
La collaboration avec Primal Scream, "As on", tombe hélas comme un cheveu gras sur une soupe froide - ou réchauffée, en l'occurrence, puisque le titre sample un morceau de... Primal Scream. Le serpent qui se mord la queue, dans une espèce d'hystérie musicale qui s'étire sur quatre interminables minutes.
Heureusement, la suivante, "Here for you", écrite avec Gary Numan, relève le niveau, grâce à la voix singulière du chanteur et à son ambiance de synthpop sombre, aux antipodes de la précédente.


En quelques morceaux, on retrouve donc ce qui rend le projet Electronica à la fois si singulier, si précieux et, à l'occasion, si irritant : son infinie diversité, écho aux univers très étendus que proposent les nouveaux invités de Jean-Michel Jarre. On aime certaines choses, d'autres moins ou pas du tout, en fonction de ses goûts et de ses affinités. On découvre parfois, on s'ennuie ou on s'énerve à d'autres moments, parce que la collaboration n'est pas à la hauteur de ce qu'on pouvait espérer.


C'est le cas, en ce qui me concerne, du travail accompli par Jarre avec Hans Zimmer. Le compositeur allemand, figure d'Hollywood pour ses B.O. puissantes (et plus variées qu'on voudrait bien le croire), fait partie des auteurs capables de mixer des orchestres à des partitions électroniques, en s'assurant que les deux dimensions en créent avec harmonie une troisième, enrichie l'une de l'autre. La rencontre entre lui et Jarre pouvait donc donner des étincelles, mais l'incendie peine hélas à prendre. "Electrees", construit sur une séquence répétitive qui appelle une progression constante, une épaisseur et une montée en puissance constantes, est un peu noyé sous des effets sonores superflus, et manque de la force unique que Zimmer est capable de produire. Le morceau n'est pas mal, il n'est "que" cela. Petite frustration pour moi en tout cas.


C'est marrant : alors que je pensais faire plus rapide au sujet de cet album, me voilà déjà à dérouler une tartine bien longue. C'est que, sur un projet pareil, il faudrait presque s'arrêter sur chaque collaboration pour en comprendre (ou non) l'intérêt...


Puisque j'ai commencé sur le sujet, j'en termine donc avec les chansons. Peaches est sûrement hyper branchée, mais comme j'ai toujours été du genre déconnecté, "What you want" est le morceau que j'aime le moins de tout le projet Electronica. Je le zappe à chaque écoute, comme "If...!" de Little Boots dans le premier opus.
La collaboration avec Sébastien Tellier tient plutôt ses promesses, frivolité typée années 80 à mort dans ses sonorités. Sympathique, mais sans plus. Dans le genre festif, je préfère le duo avec Siriusmo, "Circus", hommage pouët-pouët parfaitement assumé à la décennie magique du synthétiseur, simpliste mais joyeux.
Je ne suis pas fan de la belle voix de basse de Yello, et sa litanie existentielle dans "Why This, Why That and Why" a tendance à m'endormir vite fait, en dépit de jolis arrangements.
"Swipe to the right" marque une collaboration pour le moins inattendue avec la non moins imprévisible Cindy Lauper. Le résultat, très synthpop à la fois acidulé et épais dans son orchestration, a fini par me plaire, après plusieurs écoutes.
Vient ensuite "Walking the Mile", avec l'ami Christophe qui chante ici en anglais. Pas grand-chose à dire sur le sujet, le travail de Christophe ne m'a jamais vraiment intéressé, et les retrouvailles des deux artistes me laissent plutôt indifférent.
Enfin, "Falling Down" fait entendre la voix filtrée au Vocoder de l'invité vocal le plus improbable de l'album : Jean-Michel Jarre lui-même. Un morceau sympa, que l'environnement Electronica rend un peu anonyme ; sans doute, dans la discographie du musicien, ne mérite-t-il pas mieux.


Je dois aussi évoquer, mais vite fait, la collaboration la plus médiatique de l'album, celle avec le lanceur d'alerte Edward Snowden. Pour moi, c'est clairement plus un coup qu'autre chose, même si je ne doute pas de la sincérité de Jarre quand il dit admirer le courage de Snowden. Cependant, si l'on reste sur le plan strictement musical, le morceau qui en résulte est assez pénible à subir. Longue plage de techno énervée sans grand relief, qui ne fait pause que pour laisser place au message de Snowden au milieu du titre, "Exit" illustre à merveille la frénésie technologique dont nous sommes de plus en plus victimes. La musique est à l'image du constat : épuisante.


Pour le reste (car il en reste !) : j'aime beaucoup l'ouverture avec Rone, le "The Heart of Noise" qui donne son sous-titre à l'album ; la reprise par Jarre lui-même dans le morceau suivant, dans une version plus rapide et bavante de reverb, n'y apporte pas grand-chose en revanche.
Pas d'atome crochu particulier avec "The Architect" du légendaire Jeff Mills, dont je ne connais pas le travail solo.
Et enfin - enfin !!! -, j'aime assez l'atmosphère singulière née de l'association avec The Orb dans "Switch on Leon", qui me donne envie de découvrir l'univers de ce groupe (toujours pas fait, depuis le temps... faudrait s'y mettre !)


Electronica 2 poursuit donc le travail d'exploration de la galaxie électro, par un Jean-Michel Jarre décidément apte à rebondir, poussé sans relâche par une curiosité insatiable, une envie de partage et de nouveauté qui assure davantage sa quête d'éternelle jeunesse, que les tristes errements de la décennie 2000 (cheveux trop longs et teints en noir trop corbeau, dérives people d'une vie plus privée du tout, passions amoureuses tapageuses et sacrilèges musicaux).
Avec Oxygène 3 et Equinoxe Infinity, Jarre confirme qu'il est pleinement de retour au premier plan de ce qu'il sait faire de mieux : la musique électronique. A soixante-dix ans passés, c'est impressionnant, et ça fait du bien à ses admirateurs - dont, vous l'aurez compris, je suis.

ElliottSyndrome
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le 22 févr. 2020

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