Amour, déception et hésitation.



C’était mieux avant.
Cette phrase, nous l’avons tous déjà entendue. Il se peut même, très probablement, qu’il y ait dans votre entourage un coutumier de son usage, dégainant la sentence à chaque fois que le sujet de vos conversations a plus d’une œuvre à son actif. Communément, cette personne est appelée “vieux con”, à plus forte raison quand elle va à l’encontre de l’opinion publique. Ou tout simplement de la vôtre et que ça vous ennuie.
Ce vieux con, aujourd’hui… Ca sera moi.


Parce qu’avec tout le respect que j’ai pour la musique de Jean-Michel Jarre… je dois le dire (hurler): c’était mieux avant. Beaucoup mieux avant.



Rendez-Vous avec Electronica. Mise en perspective.



Il est des choses qui laissent une emprunte indélébile dans votre mémoire. Qui vous marquent. Qui vous touchent. Qui vous impressionnent. Chacune à leur niveau, sans prétention d’importance. Parmi ces choses-là, et dans le domaine musical plus spécifiquement, il y a, en ce qui me concerne, le concert de Jean-Michel Jarre à Houston en 1986. Non que je n’y ai pu assister (je suis né en 1983 et bien loin de Houston), mais sa vision sur VHS à l’époque fut pour moi une révélation et le début d’une belle histoire avec la musique électronique.


Une chose est sûre, Jarre a le sens du spectacle, de la démesure, de l’extraordinaire. 1.3 million de spectateurs (Ca fait rêver les musiciens de chambre à coucher). Des feux d’artifice par centaines. Des projections vidéo sur les murs des gratte-ciel. Des lumières qui dansent aux rythmes des leads puissants. Un piano en demi cercle dont les touches s’illuminent. Et enfin, et surtout, la harpe laser. LA HARPE LASER!! “Instrument” de génie, symbole de l’oeuvre de l’artiste et dont j’ai, pendant de très nombreuses années, fantasmé pouvoir jouer moi aussi.


C’est donc par ce concert (introuvable en dvd alors je me permets de vous renvoyer à Youtube) et particulièrement par le morceau “Second Rendez-Vous” qui y fut joué, que je suis entré dans cet univers synthétique. "Second Rendez-Vous" qui commence par un lead surpuissant caractéristique que plus personne n’oserait utiliser aujourd’hui tant il appartient à Jarre, qui enchaîne plus loin avec cette fameuse harpe laser, massive, et qui s’achève en apothéose à grands renforts de synthés et de choeurs. Avec un morceau comme celui-là pour référence, évidemment que c’était mieux avant. Il ne pourrait en être autrement.


Et Jarre le sait. Il le sait même très bien. Il en est même tellement conscient qu’il se sent obligé de nous resservir un peu de harpe laser dans le tout premier morceau de son dernier double album "Electronica". Comme un appel à l’aide. Comme une main en détresse, tendue aux fans de la première heure qui lui auraient accordé le bénéfice du doute après Téo & Téa et qu’il serait conscient de laisser définitivement sur le bord du chemin avec cette nouvelle création aux rythmiques dance tristement post années 2000. Complètement insipide et totalement déplacé, le son de SA harpe sonne ici comme un aveu de faiblesse. Pire, comme une insulte. Ca commence très mal. Me voilà fâché dès le premier morceau.


Ce que d’aucuns reprocheront volontiers à la musique de Jarre, la jeune génération probablement en tête, c’est un côté rétro, parfois kitsch, ne collant plus aux standards actuels. A juste titre. Ce qu’on admettra également, c’est que la consommation musicale actuelle de type fast-food s'accommode de moins en moins de morceaux de 7 minutes façon "Equinoxe Pt 4" ou d’albums entiers tels que "Oxygène", lesquels se composent d’atmosphères évolutives plus que des traditionnels couplets et refrains pour ondes fm. A plus forte raison si c’est kitsch et rétro.


Que l'on se rassure (pour autant que ça vous ait inquiété): pas de doute avec "Electronica", On est bien dans le moderne. Les morceaux sont plus formatés. Les structures plus évidentes. Et la rythmique… C’est de la dance, de la trance, du trap, du Pure FM (ça aussi, c'était mieux avant!). Finies les percussions et lignes de basses travaillées au point d’en devenir farfelues. Elles sont remplacées par des boucles techno plates et des basses surgonflées à défaut d’être intéressantes. Pour ma part, c’est rédhibitoire. Prenez "Zoolookologie" de l’album "Zoolook". Prenez ensuite "Automatic Pt 2" sur "Electronica 1". J’ai terminé, Monsieur le Procureur.


Rien d’étonnant toutefois. Jean-Michel Jarre s’est entouré de toute une série d’artistes de la scène électro/dance. Nulle doute que l’orientation allait être résolument contemporaine. La renommée et la qualité de ces artistes ne sera par ailleurs nullement remise en cause ici, au contraire. Il s’agit là de grands noms. De pionniers pour certains. Ceci dit, c’est du Jean-Michel Jarre que je voulais écouter en ouvrant l’album. Or l’empreinte de chaque artiste m’a semblé bien trop profonde, au point d’éclipser le compositeur français. Comme si Jarre ne pouvait plus exister par lui-même. Comme une tentative de survie par procuration. L’impression d’écouter une compilation de divers artistes s’impose au fur et à mesure que les titres défilent. Moby fait du Moby. Carpenter du Carpenter. Van Buuren du Van Buuren. Pet Shop Boys… Jeff Mills… M83… Comme s’ils étaient tous venus jouer dans le studio de Jarre pendant son absence, avec ses modulaires, Moog, thérémine, et autres. On retrouve certes par-ci par-là des touches empruntées à de plus vieux morceaux, des piqures de rappel plus ou moins heureuses. Mais la patte n'est plus là.


Si je suis dur avec l’actuel Jean-Michel Jarre et son dernier album, je dois néanmoins lui reconnaître des qualités indéniables. L’homme connaît son sujet. Au casque, c’est la claque. Le son est parfaitement mixé. La maîtrise technique est évidente. Le son est d’une propreté impeccable. C'est presque trop propre d’ailleurs. Serait-on passé du modulaire au software? Ca manque un peu de chaleur, d'âme, de l'imprécision qui caractérisait les vieux synthés d'antan dont les nappes détunées pouvaient donner l'impression d'un vinyle qui gondole. Ici, c'est propre. Net. Ca sent le savon.


L'album aura également le mérite d'ouvrir certains horizons à tous ceux qui feront l'effort d'aller voir ce que propose, de leur côté, chacun des artistes contribuant à l'exercice "Electronica". Et même si certaines pistes, prises individuellement et en les sortant du cadre d’un album de Jean-Michel Jarre restent des réalisations honorables, m'est avis que vous oublierez facilement la trentaine de titres au profit d'une trentaine d'autres albums.


Pour ma part, je retiendrai la collaboration avec Carpenter, un des meilleurs morceaux du double album. Le premier "Heart of Noise" (Rone) est également intéressant et pouvait laisser présager d’un meilleur deuxième opus. Quelques morceaux s'écoutent sans plaisir ni déplaisir. Mais en ce qui me concerne, la liste est trop courte. J’ai été incapable de terminer beaucoup trop de morceaux (dance / trap / trance...) que pour recommander ces deux galettes à quiconque, et surtout aux vieux cons comme moi.


Ceci dit, si lors de son prochain concert en nos belges contrées, il pouvait jouer "Rendez-Vous Part 2", "Equinoxe Pt 5", R"évolution Industrielle Ouverture" ou encore "Chants Magnétiques 1", perdus au milieu de deux heures d’"Electronica", je regretterais surement de ne pas avoir acheté ma place et d’être allé le voir jouer de la harpe laser… A défaut j’aurais toujours le concert de Houston. Mais j'avoue... j'hésite encore.

LVDP
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le 6 juil. 2016

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LVDP

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