Tout dans ce disque annonce une fin de règne : son titre, sa pochette crépusculaire (dévoilant également que les relations entre les membres de Soundgarden n’étaient pas au beau fixe) et sa musique. Instable, confuse, tiraillée entre une sombre introspection et une énergie capable de dragouiller les radios.


Down on the Upside n’est pas seulement le dernier album du Jardin du Son avant longtemps, c’est un testament. Une épitaphe d’un genre éphémère, dont l’impact fut profond, et notamment d’une époque. L’ange blond de Nirvana s’est pulvérisé en plein vol, Alice in Chains s’enfonce dans ses propres névroses au risque de ne pas s’en sortir et Pearl Jam s’est rebellé au point d’être coupé de son public. Le grunge est une affaire entendue en 1996 et c’est un de ses plus anciens représentants qui posera une dernière pierre à l’édifice.


Hélas, cette sortie fut mal accueillie et continue d’être occultée aujourd’hui. Il faut que ça cesse car il s’agit définitivement d’un grand album dont l’unique tort fut de succéder à un énorme succès commercial. Down on the Upside est déconcertant tout comme pouvait l’être In Utero. C’est un disque de crise et de paradoxe.
La trace d’une volonté d’affirmer son indépendance et de faire ce qu’on veut malgré un triomphe financier qui pourrait faire douter de cela… Sans jamais que ça soit au détriment de la qualité. Puisqu’on y trouve des perles pop comme « Pretty Noose », « Zero Chance » ou « Burden in My Hand » (voilà à quoi aurait dû ressembler le post-grunge…). Des bizarreries atmosphériques (« Applebite »), du hard rock syncopé et puissant (« Rhinosaur », « Never the Machine Forever » et son riff final étonnant) ou encore du punk décomplexé (« No Attention » et l’hilarant « Ty Cobb »).


Sa progression vers une musique de plus en plus triste et psychédélique, au fur et à mesure que les pistes défilent, entérine son aspect iconoclaste. Débuter avec une chanson FM et terminer sur une conclusion mélancolique, ça fait mal surtout quand on a entendu ce qu’il y avait entre les deux. « Blow Up the Outside World » est un hymne, mais c’est un hymne du désespoir. « Overfloater » atteint le même niveau d’accablement et il est compliqué de faire plus éloquent que le refrain du magnifique « Tighter & Tighter » ("Sleep tight for me, I'm gone…"). Le groupe est conscient de vivre ses dernières heures et pas seulement parce que la séparation est pour bientôt.


On dit que quand une bande n’est plus en phase avec son époque, elle en absorbe une partie pour la recracher totalement transformée. Loin de l’hystérie britpop qui touche le vieux continent, encore plus de l’embourgeoisement qui commence déjà à contaminer le hip hop, Down on the Upside est un vague à l’âme loin de toute superficialité. Un rock tourmenté qui a troqué une grande partie de sa puissance sonore contre une émotion plus subtile et pas moins profonde qu’auparavant. La gueule de bois des années grunge est là. Donc pour la soigner, ils vont balancer leurs dernières forces dans la bataille au risque de finir incompris. Ça tombe bien, c’est ce qui s’est passé. Sa trop grande diversité, son apaisement de façade et sa production bien plus sobre que celle de Michael Beinhorn (car concoctée par le groupe lui-même) en ont fait une déception pour certains.


Cependant, Down on the Upside s’est bonifié avec le temps. Pas du tout clinquant, donc certainement moins accessible qu’un Superunknown, il s’est révélé être un grand cru et a mieux traversé le temps que d’autres sorties du même espace-temps. Couplé avec le Above de Mad Season, il s’agit d’un repère important dans la musique alternative Américaine. La clôture d’une période d’accord (donc avant que les héritiers indignes du post-grunge ne leur succèdent définitivement), mais aussi la preuve que Soundgarden s’est arrêté à temps. Avant que Chris Cornell ne perde la flamme qui l’habitait (ses dernières performances vocales hallucinantes sont ici et nulles part ailleurs) et finisse en pathétique chanteur de variété.


Après Down on the Upside, plus rien ne fut comme avant. C’est bête qu’on ne le remarque finalement qu’aujourd’hui.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 19 mars 2016

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