Dog Man Star
7.6
Dog Man Star

Album de Suede (1994)

Poussé par une propagande digne du régime soviétique, Suede a su gagner les cœurs des adolescents de Grande-Bretagne avec son glam rock rétro et en même temps moderne dans les sujets qu’il aborde. Car si le NME a fait d’eux une coqueluche à vénérer jusqu’à l’arrivée d’un autre groupe à la mode, ce sont aussi des paroliers représentant bien une période, celle de la fameuse génération X.


Le grunge extériorise tout son mal être, mais la britpop préfère rester dans le réel et souvent dans le positif. C’est ainsi qu’Oasis parle de survivre à ses problèmes pour vivre pleinement (« Live Forever »), pendant que Blur raconte les vacances des étudiants avec leur traditionnelle malice britannique (« Girls and Boys »). Suede est plus poétique et mélancolique, exposant sans vergogne ses douleurs avec juste ce qu’il faut pour ne pas s’enfoncer dans le pathos (« Heroine », racontant à la fois les problèmes sentimentaux et de drogue de Brett Anderson).


Musicalement, Dog Man Star se trouve dans la continuité d’un premier album au succès foudroyant. Mais en nettement plus sombre, moins direct mais aussi plus profond. La production parfois datée a laissé place à un son plus ample et chaleureux. Les arrangements sont nettement plus riches et l’intervention plus récurrente de cordes (« The Power ») ou de cuivres (« We Are the Pigs ») réjouit tant leur utilisation est de qualité.


Le guitariste de génie Bernard Butler se retrouve par conséquent moins mis en avant qu’auparavant. Ce qui est en soi peu gênant car cela permet de mieux mesurer ses soli toujours aussi originaux et efficaces. Ses attaques à coup de riffs sont elles aussi admirables, parce que toujours aptes à soutenir le rythme des morceaux (« New Generation »). Mais son jeu est encore axé sur des sonorités recherchées rappelant un certain Robert Fripp (« This Hollywood Life »). Un autre lien entre le monde de la britpop et celui du rock expérimental se fait sur le morceau « Daddy's Speeding », évoquant en avance ce que Scott Walker accomplira sur son-chef d’œuvre Tilt. Sombre, parfois dissonant, mais aussi beau, Suede ne cherche pas la facilité malgré ses évidentes qualités mélodiques, car le groupe est aussi galvanisé par un chanteur de génie.


Brett Anderson est bien entendu fidèle à lui-même, une fois de plus. Crooner flamboyant (« The Wild Ones » et « Still Life ») ou chanteur sensuel (« The 2 of Us »), il confirme sa place de chanteur parmi les plus fascinants des 90s’, digne héritier de David Bowie dont il est un fervent admirateur.


Dog Man Star est souvent cité comme le meilleur album de Suede par les fans et les critiques, mais c’est aussi leur disque le moins connu par le grand public. Effectivement, nos glameux britanniques seront éclipsés par un autre grand disque de la britpop : le premier album d'Oasis.


Cette période sombre accouchera donc d’un album maudit laissant craindre un split. Butler et Anderson sont souvent en conflit sur la direction artistique à prendre, sans oublier que ce dernier affrontait aussi quelques problèmes de drogue. Cette période de discorde et de difficulté attisera leur créativité mais poussera le groupe au bord du gouffre, car Butler claquera la porte du studio à la fin de l’enregistrement, les laissant dans la panade en pleine tournée.
Il leur offrira néanmoins un beau cadeau d’adieu : « The Asphalt World ». Cette héroïque composition de 9 min (qui atteignait les 15 minutes à l’origine) se révèle époustouflante avec sa progression tragique et son solo ahurissant. Le meilleur de Butler : le voilà son présent d’adieu.


En 1994, tout le monde pense que Suede n’en a plus pour longtemps, puisque passé de mode avec des singles ne remportant pas de succès commercial comparable à celui de l’album précédent. L’avenir leur donnera tort, car après avoir composé un tel sommet, Suede saura rebondir de manière surprenante tout en reconquérant une large audience.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
9
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le 15 août 2015

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