Abacab
5.8
Abacab

Album de Genesis (1981)

"abACAB" ou "tout le monde déteste cet album"

Sorti un an auparavant, Duke aura été un joli petit succès d'un groupe dont on craignait une certaine redondance. Porté par des tubes tels que Misunderstanding et Turn It On Again, l'album aura trouvé place dans un public plus issu d'une musique populaire, tout en continuant à garantir une dimension progressive grâce à des titres comme Duchess et Duke's Travels. Mais l'enregistrement a été fait dans la douleur, notamment pour Phil Collins, ayant du mal à se remettre de son divorce. Dans son coin, il crée son premier album solo contenant, entre autre, In the Air Tonight

Et c'est instantanément devenu un tube planétaire.

Mais ça, sans doute que vous le saviez déjà. Toujours est il que grâce à sa nouvelle carrière solo, Collins a permis de placer un nouveau projecteur sur Genesis. Et que Genesis allait devoir prendre en compte l'influence grandissante du batteur-chanteur, tout en prolongeant la longue métamorphose entamée depuis le départ de Peter Gabriel. Mais alors, serait-ce enfin la domination de Collins sur le trio restant, et la mise en place d'une machine à hits ?

Évidemment, toujours pas, et ça ne le sera jamais. Si on regarde sur le papier, chaque membre du trio a écrit une chanson en solo. Collins a fait Man in the Corner, Banks a fait Me and Sarah Jane, et Rutherford a fait Like It or Not. Et le reste, c'est tout le monde ensemble. Mais dans les faits, c'est un peu plus complexe.

En effet, Abacab semble être une ébullition d'idées, tiraillé entre le passé prog et d'autres titres bien plus ancrés dans son époque. Sauf que le trio compte mettre un peu de tout là-dedans. Après tout, cela avait bien fonctionné sur Duke. Mais ici, ça marche beaucoup moins. Malheureusement, Abacab part dans tous les sens, alternant entre les différents styles de manière radicales, et ne parvient pas à nous offrir un contenu digeste. Pourtant, les morceaux en eux-mêmes sont plutôt bon. Enfin, disons qu'une grande majorité d'entre eux sont écoutables. Car c'est l'autre défaut de cet album, celui de vouloir coller à deux publics différents, si ce n'est plus.

D'un côté, il est vrai de dire de Phil Collins a largement influencé quelques titres. Pour le meilleur, c'est Man in the Corner, chanson sur les sans-abris. Avec son style "minimaliste et boîte à rythme", les quelques synthés apportent une texture agréable et mélancolique qui manque souvent sur ses titres en solo. Et pour le pire, c'est No Reply At All, malgré un jeu de basse de Mike Rutherford qui mérite l'attention. Je n'ai jamais été convaincu par les fanfares funky chez Collins, mais je trouve que ça ne fonctionne ABSOLUMENT PAS dans un album de Genesis.

Pour les titres Banks-esque, c'est pareil. On peut toucher au sublime avec Dodo/Lurker, suite progressive qui parvient à alterner de manière super efficace une ambiance épique avec des passages reggae. Mais il existe également sur ce disque Me and Sarah Jane, qui est du pur Banks dans la forme : accords complexes, domination du piano, alternances brutes entre couplets radicalement différents. Hélas, aucun passage n'est vraiment accrocheur, si ce n'est une petite partie au milieu, et ça finit par donner un truc long et pompeux.

Et les titres qui restent sont dans la même trempe. La chanson-titre est un rock binaire qui tient sacrément bien la route sur 7 bonnes minutes, même si la conclusion est légèrement redondante. Dans le même veine, Keep it Dark avec son riff très marqué, qui vous donnera immédiatement un avis tranché sur le morceau ; pour ma part, tantôt je l'adore, mais souvent je trouve ça agressif et insupportable. Et puis, mettre les deux morceaux les plus oubliables à la fin n'arrange rien.
Enfin, il reste un morceau fameux...

Le cas Who Dunnit?

Ce titre a une certaine réputation, notamment considéré comme le pire morceau du groupe. Et c'est compréhensible, tellement tout semble avoir été fait pour produire la pire chose possible. En témoigne le titre de la chanson, une blague presque méta : franchement, qui a osé faire une merde pareille ??? Les paroles sont d'une débilité extrême, en plus d'être ultra répétitive. La batterie est un poum-tchac ultra basique (joué par Mike Rutherford en live !). Quant à Tony Banks, il se contente de faire joujou avec les pires effets possibles sur son synthés. Évidemment, tout ceci ne serait pas assez horrible si ça n'était pas répété sur 3min20 qui paraissent en faire le double... Avec comme point d'orgue cette conclusion où Phil s'amuse à brailler des we all know we all know we all know en boucle pendant plus d'une looooooongue minute, et qui commence à lentement de désynchroniser....

Mais, étrangement, là où pour n'importe quel autre groupe on aurait légitimement insulté les créateurs, pour Genesis ça passe. Parce que le groupe a toujours eu une sorte d'autodérision, avec des textes humoristiques, et on peut remonter jusqu'aux voix bizarres de Peter Gabriel et reprises par Collins pour justifier cela. Il faut dire que selon ce dernier, Who Dunnit? c'était conçu comme un morceau punk (oui, soit, dans ce cas on peut parler du fait que Phil était persuadé de ne pas faire de prog). Certes, l'excuse du second degré, c'est parfois un peu facile, pour justifier tout ce qui est un peu moche. C'est ce qui sauve une bonne partie de la discographie globale de Genesis. Personnellement, je trouve que dans ce cas précis, c'est réussi, car la volonté de taper à côté des attentes est poussée jusqu'à son paroxysme. Et aucun doute, on est bien dans le style Genesis.

Au final, Abacab peut être vu comme un gloubi-boulga témoin de la transition du groupe. Que vous soyez afficionado des années 80 ou partisan du c'était mieux avant, il y aura forcément un morceau pour vous plaire. Mais en même temps, jamais vous ne pourrez être satisfait par l'ensemble de l'album. Plus visible que jamais, le trio a crée un fossé entre les deux époques. Heureusement, la réconciliation nous reviendra...

poulemouillée
5
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums de Genesis et Les meilleurs albums de 1981

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le 10 juin 2022

Critique lue 473 fois

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poulemouillée

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