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A Crimson Grail: For 400 Electric Guitars par Adobtard

Je crois que je l'ai écouté une bonne vingtaine de fois. Plus ou moins attentivement : il a été la B.O. de mon travail de mémoire de la semaine précédente, soit un nombre d'heures incalculable, et je continuais bien souvent le soir, avant de me coucher, au repos, allongé et dans le noir.
Vous savez, ces conditions pour lesquelles je vous tanne si souvent afin que vous les réunissiez pour écouter mais surtout entendre une œuvre ? Lorsque je tente de vous sortir de cette culture d'aujourd'hui, de « l’œuvre d'art à l'époque de sa [bien trop grande] reproductibilité technique », qui veut que l'on écoute une ou deux fois une musique, sur son baladeur dans un métro bruyant et bondé en observant les jambes décidément délicieuses de la petite assise en face ? Où le plaisir passe non plus dans l’œuvre mais par sa connaissance ? Le savoir devenu besoin et dressé contre le sensible au lieu d'être son serviteur ? Voilà, c'est ça.

La vérité, c'est que c'est une très, très belle œuvre. Plus encore que je ne le pensais au début.


Céleste suprême, l'écouter c'est regarder au ciel. Des ombres et des lumières, qui passent, un fond de nuages qui projettent leur forme sur le soleil. De petites étoiles filantes aussi qui se détachent sur cette nuit lumineuse, discrètement, ici, là : une touche, une autre. L'intrusion raffinée dans un accord parfait d'une septième, d'une neuvième. Une nouvelle ombre, étrangère à l'accord cette fois-ci, qui en voile la texture un instant, et disparaît. Sensations fugaces.

On laisse un son mourir, on écoute son écho. Quand plus personne ne joue et que la simple résonance est musique. « La vraie musique est entre les notes » disait Mozart. Lorsque le silence ne fait pas peur, qu'on peut s'arrêter, un instant, souffler, et repartir. Notion du voyage très chère, du périple.

Alors du partir en mer. Le flottant du premier titre est d'une délicatesse. Ce sont de petites vagues, des lames qui ne se brisent jamais complètement, mais meurent dans l'écho, cet insondable cimetière sous-marin qui me fascine, et trouve sa personnification dans l'immense dôme que forme le Sacré-Cœur. J'y ai entendu l'orgue il y a peu, et ce souvenir se mêle à celui, fantôme, de l'expérience vécue de ces quatre cent instruments, de la sublimation de cet imaginaire. Je vois ce son se propager, ces ondes aller et revenir, confondant tout. Une musique synesthésique ? Visuelle c'est certain.

Mon moment préféré ? La première partie. Entre quinze et seize minutes, naît en catimini un galop timide. Fa. Sol. Mi. Fa. peut-être. Une cellule circulaire qui vient prendre sa place, s'installer dans le coton duveteux du bourdon médium qui la porte.
Le compositeur fait naître le motif, et quand il l'a capturé, ne le lâche plus, mais le perd, le tourmente un peu, lui donne du leste, le noie, le ranime, l'éteint.

Une œuvre que je garderai précieusement, et ré-écouterai souvent. C'est non-seulement intelligent, mais, plus important, c'est d'une sensibilité fantastique.
Ah, c'est sûr, adieu la forme rondo, adieu les effets malvenus. On travaille le timbre différemment ici. Ce compositeur est un artisan, un souffleur de verre.
Le compositeur agit sur le timbre de son ensemble par les jeux de changements d'accords, de densité aussi. Par un contrepoint qu'il fait naître du principe d'inertie magnifié par l'acoustique gargantuesque.
Ce qui aurait pu être une simple vantardise, ces quatre cent instruments, prend ici par ce travail toute sa raison d'être.
Il souffle tendrement sur sa matière et la modèle, la touche, la caresse. Ici une respiration qui fait apparaître une partie. Là un soutien qui fait se croiser deux éléments. La structure est pensée, dirigée. Le navire progresse sous les pressions élégantes du compositeur, et des éléments prédéfinis émergent avant de se renfoncer à nouveau sous les flots musicaux, selon une logique à l'image de cette musique, faite de discrétions et de révélations.

C'est sûr, la finesse n'a jamais plus à tout le monde. Les amateurs de musique pressée ne s'y retrouveront pas. Au royaume du temps lisse, le coureur glisse, s'écrase. On ré-apprend à prendre le temps, parce que changer d'accord est ici un acte d'une force trop grande, et de simples variations d'intensité, ces vaguelettes à la surface de la musique, suffisent à animer l'éther volatil de ces centaines d'instruments. Une réussite audacieuse.
Adobtard
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le 6 mai 2013

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Adobtard

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