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White Faced Lady
7.8
White Faced Lady

Album de Kaleidoscope (1990)

Il est difficile de dire à quelle époque exactement le projet White Faced Lady, album publié plus de 20 ans après la séparation des Kaleidoscope / Fairfield Parlour, a été mis en chantier. Après "Faintly Blowing", sûrement, mais où précisément entre les périodes I Luv Wight et l'aventure Fairfield Parlour ? Mystère. Ce qui est à peu près certain, c'est que, quand bien même les chansons auraient pu être écrites avant l'album From Home To Home, elles ont été enregistrées après. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter ce White Faced Lady, bijou posthume, représentant à lui seul l'œuvre de Kaleidoscope, s'imposant à la fois comme la synthèse et le bouquet final de tout ce qu'ils avait pu enregistrer auparavant, et s'offrant comme un cadeau d'une richesse infinie aux esgourdes des curieux qui prendront le temps de le découvrir...


Résumons : Kaleidoscope, groupe créé en 1964, sort un premier album en 1967, poussé par la maison de disques Fontana, voyant en la bande de 4 du potentiel, et souhaitant en tirer de "nouveaux" Beatles. Le disque, intitulé "Tangerine Dream" dans la mouvance de l'époque, est excellent, et à la manière d'un Butterfly des Hollies, enchaîne les perles de pop psychédélique finement ouvragées. Plus encore, l'album, de par ses deux derniers titres (ou encore le fabuleux single "Just How Much You Are"), envoie la promesse d'une œuvre plus personnelle à venir, basée sur des mondes médiévaux fantasmatiques que le cerveau de Peter Daltrey, le leader, échafaude à la pelle. Promesse tenue : après la sortie du deuxième récital, en 1969 ("Faintly Blowing"), Kaleidoscope a varié son répertoire et a encore enregistré des merveilles baroques, aussi chaudement illustrées par des textes forts que par des mélodies implacables, magnifiées par des arrangements de hautbois, cors, ou encore clavecins en pagaille. C'est le temps des "If You So Wish", "Opinion", "Bless The Executioner", "I'll Kiss You Once", complétées sur les galettes par les perfections pop plus ou moins psychédéliques que constituent, entre autres, des "Faintly Blowing", "Love Song (For Annie)", ou encore, pour n'en citer qu'une dernière, la fabuleuse "A Story From Tom Bitz", foutant la banane pour des semaines entières. Le génie est là, indéniable. Le succès, quant à lui, est absent. Il faut dire que cette musique passéiste (Hendrix distribue les solos pompeux dans le même temps) et le manque total de glamour de Kaleidoscope (une bande de premiers de la classe arborant des coiffures ignobles) leur fait plus défaut qu'autre chose. Qui plus est, un homonyme américain, jouant une musique psychédélique d'influence mondiale (assez insupportable), leur ferme toute possibilité d'expansion outre Atlantique. Le groupe se rebaptise alors Fairfield Parlour, après l'expérience amère de l'île de Wight, pour lequel le groupe, brièvement renommé I Luv Wight, avait enregistré deux chansons - encore magnifiques. Les Fairfield Parlour enregistrent l'album From Home To Home, montrant encore une évolution impressionnante, et une prise de maturité sidérante depuis le premier ouvrage. Plus discret, voire plus précieux, c'est encore avec la précision d'un orfèvre que Daltrey concocte des chansons d'une beauté inouïe ("Emily", "I Will Always Feel The Same", "The Glorious House of Arthur", "Bordeaux Rosé", "I Am All The Animals"...), avec en fond, le spectre toujours présent de ce monde médiéval imaginaire qui ne peut que transpercer de toute part le cœur de celui qui en comprend la magie. Mais déjà, les refrains se font moins entêtants, les mélodies sont moins chantantes. WFL s'inscrira alors directement dans la lignée de cet enregistrement, mais en étant, peut-être, cent fois plus puissant.


Quel est donc cet album ? Après avoir détaillé la structure de quelques chansons et avoir remarqué que des jonctions pouvaient se faire entre chacune d'elles, Daltrey se voit pousser par son manager d'en tirer un double album en forme d'opéra-rock. Il écrit, comme l'avait fait Phil May pour S.F. Sorrow, des textes qui expliquent la teneur des chansons et découlent sur une histoire, ici quasiment une nouvelle (fort mal écrite et peu intéressante, peu importe). Mais, en plein trouble juridique avec sa maison de disques (un simili de fin de contrat avec Vertigo et de délai d'enregistrement trop long), Kaleidoscope ne parviendra pas à publier son disque, et WFL est jeté aux oubliettes. Alléluïa ! il est réédité 20 ans après dans une version complète, et parfaitement produite. Impeccable. L'occasion de découvrir le chef-d'œuvre terminal d'un groupe à la discographie déjà ultra dense et cohérente, et que ce dernier jet ne fait que grandir.


Le double s'ouvre par une ouverture (dans son sens classique), chemin parsemé de violons et de pulsions symphoniques (tout Daltrey est là), ne ressemblant en rien à de la pop, inspirée de la musique baroque du XVIIème siècle, et annonçant plusieurs des thèmes musicaux à venir de la première face (Broken Mirrors, Angel Song, Small Song), tout en évoquant également quelques instants de From Home To Home (on pense à Aries notamment). Et ça enchaîne alors sur Broken Mirrors, premier morceau des perles de douceur et de discrétion qui marquent l'intégralité du premier disque. Il faudrait être fou pour nier la beauté de ces airs totalement envoûtants, refusant les facilités d'un "nanana" entraînant, et se focalisant uniquement sur les aspects les plus purs de la musique : des mélodies rêveuses, à tomber, des instrumentations délicieuses (le clavecin qui inonde l'arrière-plan de The Matchseller...), de la finesse des plus travaillées, du lyrisme des plus tonitruant (à moins de pisser du sang toutes les heures, ce serait triste de trouver ça mièvre)... "Broken Mirrors", "Angel Song : Dear Elvis Presley", les couplets de "Burning Bright", l'enthousiasmant "Nursey, Nursey", ou encore l'apothéose que constituent à eux deux "The Coronation of The Fledgling" et "All Hail To The Hero", autant de chansons magnifiques, que l'on ne saisit peut-être pas dans leur entièreté dès la première écoute, qui ne sauraient être aussi entêtantes qu'un "Do It For Jeffrey", aussi épiques qu'un "Black Fjord", mais qui, au grand jamais, ne possèdent pas moins de magie... C'est simple : Daltrey est l'artiste le plus généreux qui soit. Sa ferveur, son lyrisme, son romantisme emportent tout, le sauvent sans arrêt du kitsch. Tout ce qu'il enregistre semble sorti d'un rêve, tant c'est pur et sincère. Et en plus, sur WFL, Daltrey n'a jamais aussi bien chanté, et sa voix d'ange ("Dear Elvis Presley") contamine tout ce qu'elle occupe. Dernier morceau de la première des deux galettes, "White-Faced Lady" apparaît plus mineure, mais révèle musicalement les changements de ton qui seront opérés dans la suite de l'album.


Changement de disque, césure nette. Cela semble moins enjoué, plus sérieux, mais surtout, c'est plus varié. Il y a du rock, des morceaux terribles de dynamisme (le clavier absolument mortel sur "Diary Song : The Indian Head"), des curiosités ("Standing", chanson la moins forte de l'ensemble contraste vraiment avec le reste), mais Daltrey ne renonce pour autant jamais à ses inspirations premières, et on trouve donc des chœurs de partout, une obsession du passé qui se fait sentir à chaque instant, du chant lyrique ("Song From Jon")... La musique devient plus que la musique, elle crée des vagues d'images, envoûte au plus haut point, transcende. Émerveillement total lors des trois derniers morceaux, dépassant tout ("The Locket" et sa quiétude douloureuse, "Picture With Conversation" remontant tous les thèmes musicaux de l'album après une introduction magnifique, et "Epitaph : Angel", concluant de la plus belle des façons ce conte moderne aussi maladroit qu'il est grandiose).


L'époque de Kaleidoscope touche à sa fin : quand bien même il serait sorti, qui aurait encore eu envie d'écouter un WFL en 1971 ? Le groupe se sépare, Daltrey opère en solo, devient cynique et enregistre des trucs introuvables, et White-Faced Lady sombre dans l'inconnu. Encore aujourd'hui son statut est à réhabiliter. Mais tout le monde le sait : les plus grandes œuvres sont celles de l'échec, victimes de l'oubli, et en étant exhumées des décennies plus tard. Vive les losers.

TituszwPolsce
9
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le 7 janv. 2016

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