Un classique oublié de la pop anglaise

D’après le dictionnaire Larousse (notre livre préféré à tous sur Forces Parallèles la définition du fanatisme c’est : « un dévouement absolu et exclusif à une cause qui pousse à l'intolérance religieuse ou politique et conduit à des actes de violence ».


Inutile de faire un lien aussi subtil qu’un rouleau compresseur avec le terrorisme et l’actualité, il serait plus intéressant de transposer cette idée dans la musique.


Donc, le fanatisme dans le domaine de la musique populaire, c’est quoi ? Un public hurlant dans d’immenses stades ? Des émeutes à la fin des concerts ? Des groupies hystériques ? Avec le recul, ça semble ridicule. C’est pourtant bien ce qui s’est passé lorsque les Beatles ont débarqué dans les années 1960. Ce quatuor aux allures de boys bands (car bien habillé et peigné, sympa la coupe au casque à ce sujet) sulfureux (parce qu’il faisait hurler les jeunes filles en fleur). Heureusement, il reste la musique et si on peut s’avouer (enfin) que tout n’est pas génial dans leur discographie (loin de là même), il y avait toutefois quelques sacrés bons disques et des tubes à la pelle.


Hélas, à force de transmettre ces faits aux générations futures, elles ont tendance à idéaliser ce qu’elles n’ont pas vécu (et conforter les plus anciens dans leurs positions). Ce qui enlève tout esprit critique et envie d’ouverture. Beaucoup d’amateurs des Kinks et des Zombies vous le diront : les Fab Four leur ont volé le succès qui leur revenait de droit. Que ce soit vrai ou non n’est pas important. Ce qui compte, c’est que cette situation peut être injuste.


Dans les années 1980, les Smiths ont un statut presque équivalent aux Beatles. Il leur manque juste une aura mondiale pour avoir un succès commercial similaire, mais en Angleterre, Johnny Marr et Morrissey sont des stars. A un tel niveau qu’ils engloutissent, rien qu’avec leur réputation, toutes les petites bandes similaires cherchant à percer. Leur séparation en 1987 laissera des traces au point que leur public mettra du temps à s’en remettre.


C’est au même moment qu’une poignée de Britons se rassemblent pour former The House of Love. Ils sortent plusieurs singles marquants dont « Real Animal » et le formidable « Shine On » sur un petit label qui monte (Creation), dirigé par un Écossais rouquin à moitié barge fan de pop Anglaise et de rock psyché, le fameux Alan McGee.
Ce premier album sort rapidement et dévoile à première vue une musique dans la lignée de celle des Smiths : une pop aérienne aux guitares jangly inspirées des Byrds et chantée par un vocaliste à l’attitude affirmée. Cette sortie sans titre remporte un joli succès dans les charts indépendants notamment grâce au single « Christine », mais ne taquine jamais les ventes hallucinantes du gang de Morrissey. Malgré des ingrédients qui avaient tout pour faire fondre le public à ce moment précis.


Pour les moins observateurs d’entre nous, ce quatuor formé par Guy Chadwick suite à un concert des Jesus and Mary Chain a tout du suiveur sans personnalité. Cependant, si les deux éléments iconiques du groupe sont semblables (un guitariste remarquable et un chanteur charismatique), ils n’ont finalement pas du tout le même caractère. Chadwick a beau avoir été marqué par les Beatles et Leonard Cohen, il n’en demeure pas moins un personnage dont la voix vénéneuse et habitée est surtout empreinte d’un charme post-punk semblable à celui des JAMC.


C’est justement ce qui explique ce rapprochement tenace de la part des journalistes avec la scène shoegazing émergeant au même moment, alors que cette Maison de l’Amour n’entretient des rapports que ponctuels avec elle. Ce qui a induit en erreur, c’est le succès du premier morceau de ce skeud : le génial « Christine ». Ces guitares brouillées, son atmosphère rêveuse et ses chœurs féminins suaves ont dû affoler les fans de Ride et de My Bloody Valentine alors qu’il s’agit finalement du hit le moins représentatif de leur son.
Néanmoins, quand on constate la magie entourant cette chanson fantastique, on en vient presque à pardonner le manque de réflexion de ses adorateurs à son sujet. Tout comme « Hey Jude », « Red Rain » ou encore « Life on Mars », « Christine » fait partie des rares tranches de musique à marquer éternellement dès la première écoute. Comme si vous connaissiez inconsciemment ce titre depuis toujours (alors que ce n’est absolument pas le cas, c’est ça qui est très fort !).


Si le reste de ce premier opus n’est pas autant immédiat que cette magnifique entame (mais pas toujours moins bon), il confirme que l’oubli relatif dans lequel se trouve The House of Love est étrange. Le songwriting littéraire (et ne négligeant pas les mélodies) de Guy Chadwick ainsi que la guitare psychédélique du fabuleux Terry Bickers sont des éléments permettant de les hisser au sommet de ce qu’on appelle la jangle pop. Même aujourd’hui. Puisque ce qui fait leur force (et leur différence) par rapport aux Smiths, c’est cette capacité d’écrire des chansons à la fois douces, rock (« Happy ») et également superbement évocatrices à coup d’arpèges rêveurs (l’intro de « Love in a Car » reste un modèle du genre). Parfois accompagnés aussi d’accords plus brutaux, presque noisy (la fin surprenante de « Hope » ou encore « Sulphur »).


Trop gavé par une adoration peut-être un peu forcée et convaincu par les plus têtus des admirateurs des Smiths, le grand public est passé complètement à côté d’un des plus beaux et attachants disques de la pop anglaise. Si le contraire s’était produit, The House of Love ne serait pas seulement devenu un témoin de son époque, mais également un avant-goût de la scène alternative britannique des années 1990.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 27 juin 2016

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