Comment ne pas être ambivalent sur le punk rock ? Un droit d’inventaire sur le genre durant la fin des seventies tournerait rapidement au massacre. Pour un Clash ou un Damned, on avait droit, en contrepartie, aux pénibles Sex Pistols ou aux limités Ramones. Autant dire qu’il n’est guère aisé de faire émerger de la masse une pléthore de grands albums ayant bien traversé le temps.


Cependant, l’impact du punk fut incroyablement positif sur la musique belliqueuse et alternative. Sans cette démarche d’assumer un faible bagage technique pour mettre plutôt en avant son inspiration, il n’y aurait pas eu Wire ou Ultravox. C’est-à-dire des formations novatrices et influentes. Autant dire que le post-punk des Psychedelic Furs se serait également noyé dans les limbes de la création avortée.


A la différence près que le gang des frères Butler ne semble pas être passé à la postérité. Pourtant, leur style particulier et leur parcours chaotique en font une entité très attachante dans le monde de la new-wave et du Rock alternatif. Tout comme certaines figures à forte personnalité (Killing Joke, Siouxsie and The Banshees) et parfois oubliées (Comsat Angels, Modern English, Chameleons), leur influence s’étend au-delà des années 1980. Entre l’énergique rock bruyant (le génial « I Wanna Sleep With You »), la pop cynique (« No Tears », le hit « Pretty in Pink » qui deviendra l’hymne du film du même nom) et les développements psyché à la guitare (la pièce montée « All of This & Nothing »), il y a de quoi s’interroger sur leur prescience annonçant une décennie bien différente dans laquelle ils se situent : les 90s.


Second album de leur carrière, on pourrait croire que les erreurs de leurs hermétiques débuts ont été commises de nouveau. Le line-up qui reste inchangé demeure un sextet. Steve Lillywhite se charge toujours de la production et leur style n’a pas foncièrement changé. Leur post-punk reste crade, de mauvais augure et nourri au psychédélisme des origines.
Sauf qu’au niveau de l’écriture, c’est le jour et la nuit. Ce qui tient à une seule explication : le songwriting. Si le son de Lillywhite reste attaché aux principes premiers du groupe, il s’est éclairci et met en valeur des chansons bien plus immédiates que l’étaient celles de leur tout premier forfait.


Non seulement, « Dumb Waiters » lance le disque avec brio, mais il se permet également d’être représentatif de ses qualités. Le rythme trépidant, la voix de Richard Butler, d’une classe malveillante, ainsi que ce saxophone urgent, tout participe à en faire une ouverture imparable. Il est justement à noter que le saxophoniste Duncan Kilburn abat un travail considérable car toutes ses lignes de sax sont mémorables. L’influence glam-rock s’est même dissipée pour laisser place à une sorte de fanfare punk dérangée.


Même les titres les plus rapides tels que « Mr. Jones » et « So Run Down » s’avèrent plutôt bons et surpassent, haut la main, tout ce que les Anglais avaient pu composer dans le même registre précédemment. Autre surprenante réussite, les compositions les plus pop dévoilent que cette bande n’est pas uniquement douée lorsqu’il s’agit d’expérimenter avec des distorsions à la 6 cordes. Un sens de la mélodie se dessine remarquablement et leur permet de signer plusieurs bijoux dont le plus remarquable est ce « She Is Mine » conclusif. Une merveille apaisée transcendée par la voix abîmée de Butler.


Talk Talk Talk est le style de leçon rappelant pourtant une évidence : une démarche originale et sans compromis sera toujours meilleure si on l'accompagne d'outils pour se faire entendre et comprendre par le plus grand nombre. Le compromis est donc parfait : les Psychedelic Furs conservent leur facette sulfureuse tout en parvenant à se rendre accessibles. Peu y sont parvenus et eux-mêmes auront du mal à répéter cet exploit !


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Seijitsu
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le 31 août 2019

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