La publication du Closer de Joy Division ne fut pas seulement le chant du cygne de Ian Curtis, ce fut également une source d’inspiration pour le début d’une décennie se voulant bien noire. Beaucoup de groupes post-punk plongeront, la tête la première, dans les ténèbres après cet événement. Parfois en l’espace d’un seul disque (le premier Modern English, Heaven Up Here des Echo and The Bunnymen ou encore From the Lions Mouth de The Sound). D’autres fois, en explorant les moindres recoins sombres de l’âme humaine (Pornography de The Cure).


The Comsat Angels ont donné, eux aussi, leur vision de l’horreur et du désespoir.


Mais pas seulement.


Contrairement à Waiting for a Miracle, la création de Sleep No More ne fut pas précipitée. Ce qui permet à la bande d’affiner autant ses performances que sa production. Principal élément à bénéficier d’une meilleure préparation : le chant de Stephen Fellows. Il reste légèrement approximatif (donc punk dans l’esprit), tout en étant, cette fois-ci, bien plus plaintif, profond et alors apte à faire vibrer la corde sensible. Son interprétation s’est intensifiée et dramatisée. D’ailleurs, on n’est plus très loin du rock gothique voire des intonations héroïques d’un Jim Kerr ou d’un Bono. Que ce soit dans un registre introspectif (« Restless » et sa basse envoûtante), désespérée (« Diagram ») ou grandiloquent (son hurlement déchirant sur « Dark Parade »), ce mec est possédé derrière son micro et devient subitement une des plus intéressantes voix de l’époque.


La musique subit également une transformation. Car là où leur premier album était poppy et diversifié, celui-ci est lent, maussade et monolithique. Le son de la batterie renforçant cette sensation que tout le poids du monde tombe sur nos épaules à son écoute (« Gone »). Les tambours ayant un son particulièrement massif, ce qui donne cette aura menaçante aux compositions. Comme le quatuor a bénéficié de plus de temps pour réfléchir à leur production, ils ont eu l’idée de faire jouer leur batteur dans un immense ascenseur afin de lui donner ce son si résonnant. Ce qui démontre que lorsqu’on n’a pas les moyens, il faut savoir faire preuve d’ingéniosité.


Pour ne rien gâcher, les compositions sont exemplaires tout en étant avant-gardistes. Avez-vous entendu la guitare dissonante de « Eye Dance » ? C’est typiquement le style d’accords qui a fleuri dans les années 1990 chez les groupes de post-hardcore / math rock (on croirait entendre Polvo). Les breaks noisy du terrifiant « Dark Parade » (un sommet de noirceur) inventent Sonic Youth avant qu’ils ne sortent leur premier album. Quant aux chansons les plus lentes telle que « Light Years », elles nous font carrément songer à la musique indolente et dépressive (le Slowcore) des 90s ! Cependant, je reste toujours autant estomaqué par l’originalité du morceau titre même des années après sa découverte. Est-ce du krautrock ? De la musique électronique ? Du space rock ? Du shoegaze ? Aucune de ces étiquettes ne correspondent à ce monument tout en étant les seules qu’on puisse coller dessus. Une chose est certaine, c’est à la fois minimaliste et puissant. C’est dire à quel point ce n’est pas évident d’arriver à ce résultat.


Cela m’amène à insister une nouvelle fois sur Stephen Fellows qui n’accomplit pas uniquement des merveilles au chant, il est aussi très inventif avec sa guitare. Son jeu anti-technique jouant beaucoup sur les textures de son instrument. Donnant ce côté planant, inquiétant, parfois rêveur et d’autres fois, abrasif.


Autant être clair tout de suite. Si « A Touching Display » de Wire est le premier morceau de l’histoire à contenir les germes du Shoegaze, les Comsat Angels sont le premier groupe à pouvoir être qualifiés d’inspirateurs du genre... Tout ça, avant U2 et les Chameleons. Ce qui rend encore plus incompréhensible l’oubli dans lequel ils sont enfoncés aujourd’hui.


Car s’il existe un disque injustement zappé des anthologies du post-punk, c’est bien celui-là.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 10 sept. 2017

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Seijitsu

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