Painful
7.7
Painful

Album de Yo La Tengo (1993)

Avez-vous remarqué cette sublime pochette ? Faites un test. Lancez la lecture de cet album et fixez-la pendant de longues minutes. Je suis certain que vous aurez beaucoup de mal à trouver une illustration se mariant aussi bien avec la musique qui l’accompagne.


Laissez-vous envelopper par cette mélodie à l’orgue, si simple en apparence et pourtant tellement envoûtante. C’est à cet instant que vous vous faites bercer par la voix apaisée d’Ira Kaplan. Elle vous relaxe au point que vous remarquez à peine les larsens trainants des guitares. Comme si ces dernières chantonnent leur propre berceuse. A la différence qu’au lieu de se faire sucrées, à l’instar du chant de Kaplan, elles préfèrent utiliser la dissonance. Un mélange contre-nature mais délicieux quand il est préparé avec autant de talent. Un mélange très répandu au même moment en Angleterre et qu’on surnomme (souvent avec dédain hélas) shoegaze.


Alors que le grunge est en plein zénith commercial, Yo La Tengo préfère laisser traîner ses oreilles ailleurs que dans son pays natal. Échappant à cette étiquette facile de groupe Ricain pur souche. Car ils ne sont pas que des amateurs de la zic de leur coin, ils sont ouverts à tout. Et le titre de ce premier morceau est sans équivoque : un grand jour arrive. C’est le 5 octobre 1993 que ce trio devient une des bandes les plus intéressantes de l’indie rock.


Kaplan le dit lui-même, c’est avec Painful que leur carrière débute réellement. La stabilité de ce line-up ainsi que leur capacité à atteindre des pics de génie ont justement été démontrées depuis. Tous les tâtonnements des disques précédents ont donc porté leurs fruits. Ce qui avait été découvert sur May I Sing With Me a tout simplement été repris et modifié selon une nouvelle approche. L’énergie punk a presque disparu pour laisser place à des compositions plus placides, plus abondantes en saturations et toujours mélodiques (« From a Motel 6 » dont seul le tourbillon de grattes interrompt la quiétude de la voix de Georgia Hubley). La lenteur se fait rassurante (la dream pop « Nowhere Near » dont les accords rappellent le « Falling » de Julee Cruise... Ou le générique de la série Twin Peaks si vous préférez). Elle ne rend pas leur musique forcément plus immédiate qu’avant, mais elle lui apporte de la profondeur. Je devrais même dire qu’elle enchante également grâce à sa délicatesse en dépit de ses attributs bruyants. C’est ce détail qui est si beau sur cet album. Parce que c’est avec un simple ajout d’atmosphère que Yo La Tengo touche à l’essentiel. Rien que l’introduction de « Sudden Organ » prouve cela. Un orgue et quelques notes de guitares inquiétantes, puis c’est parti.


Si la formation s’inspire désormais d’une culture musicale anglo-saxonne, ses compositions évoquent, néanmoins, toujours leur terre d’origine. Ses immenses artères d’autoroute (« I Was the Fool Beside You for Too Long »), ses innombrables restauroutes (« From a Motel 6 »), ses patelins tranquilles (« Nowhere Near ») ou encore ses interminables routes de campagne (« I Heard You Looking »).
Painful est une BO. La bande-son des gens ordinaires de l’Amérique du Nord. Toutefois, sans le sous-texte social de Bruce Springsteen. Le gang de Ira Kaplan s’évertue uniquement à en reproduire l’atmosphère rien qu’avec leur passion de la musique. Même si des déferlements noisy sont présents pour remémorer qu’ils ne font pas que créer des morceaux nocturnes et atmosphériques, mais qu’ils savent aussi envoyer du pâté (la seconde version de « Big Day Coming », ultra rock et cette dernière piste qu’on aurait souhaité encore plus longue).


A cause du moyen « A Worrying Thing » et de « The Whole of the Law » (mignonne reprise de The Only Ones mais guère indispensable), on passe à côté du sommet discographique. Seulement, ce n’est pas grave. Ça sera pour plus tard. En attendant, Yo La Tengo livre une de ses plus grandes œuvres. Le genre d’œuvre ayant donné ses lettres de noblesse au rock indépendant. Peut-être même celle à privilégier pour découvrir ce groupe hors normes.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
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le 9 nov. 2017

Critique lue 508 fois

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