Recorded in Copenhagen, Denmark, January 14, 1963


C’est le second album d’Albert Ayler, enregistré en janvier 63. En ces années difficiles pour les musiciens d’avant-garde, la Scandinavie prend l’allure d’une terre d’asile, en effet, pendant cette même période, Cecil Taylor foule également le sol Danois et s’y installe pendant deux mois avec son trio et un peu plus tard, vers l’automne, c’est le New York Contemporary Five, avec Shepp, John Tchicai et Don Cherry qui s’y produira pendant plusieurs mois.


Ces enregistrements sont à l’origine prévus pour une émission radiophonique danoise « Jazz 63 », Ayler devait, dans le projet initial, jouer en compagnie du trio de Cecil Taylor, mais une série de contretemps fit échouer la rencontre. L’enregistrement se fera donc en compagnie de musiciens locaux. On connaît NHOP, mais en 1963, il n’est âgé que de seize ans, c’est un jeune musicien peu accoutumé au free, mais il saura profiter de cette expérience. Le pianiste joue strictement du bop et le batteur ne risque pas d’être pris en flagrant délit de battre autre chose que la mesure. Mais, malgré tout, l’album est passionnant à plus d’un titre.


Il commence par une courte allocution de la voix claire et posée du saxophoniste qui se présente : « My name is… », d’où le titre de l’album, dans une courte allocution, avec une franchise désarmante, il déclare se sentir libre dans les pays scandinaves et, de façon assez touchante, il affirme que: « one day, everything will be as it should be ».


Première surprise Albert Ayler joue du soprano sur Bye, Bye, Blackbird. On retrouve « sa patte », la façon très personnelle qu’il a d’émettre les notes en un flux sonore continu, de faire pleurer son instrument. Il aime jouer dans l’aigu, alors ici, avec le soprano, on a l’impression de redécouvrir sa façon de jouer et l’on s’émerveille de sa virtuosité de son habileté à en extraire l’inattendu, l’inouï, en contraste absolu avec le solo de piano qui suit, hard-bop, comme à la parade. NHOP avec son archet, tout en restant académique, se marie mieux avec la sonorité du saxophoniste.


Le morceau de Charlie Parker ne désorientera pas la rythmique qui martèle imperturbablement sa marque. Au ténor Albert Ayler ne quitte pas les clous, respecte les mesures, seul son phrasé marque sa différence.


Mais il y a Summertime


Summertime, extrait du Porgy and Bess de Gershwin, cette pièce est devenue un standard, jouée par tous, partout et tout le temps. C’est une ritournelle, une bluette, mais de celles qui ne s’oublient pas, elle s’ancre en vous, cache dans ses replis comme une tristesse infinie, et l’on parcourt le jazz, toutes époques confondues, en la rencontrant, presque naturellement… Qui ne s’y est risqué ?
Et puis, une fois, un jour, vous voilà face à elle, belle, immense et dévorante… monte le son et laisse-toi envahir… malgré l’inanité du piano, elle est là, la version ultime, indépassable, définitive. Tout se passe comme si la rigidité rythmique, au lieu d’anéantir son projet, accentuait l’immense solitude d’Ayler, comme si son cri, gorgé de soul et d’espérance se perdant dans la nuit n’en était que plus déchirant. Il renaît sans cesse, se ravive, s’abreuvant aux sources vives, se nourrissant de sa propre tristesse. Albert, combien de vies faut-il vivre pour dégorger une telle plainte ? Tu pleures, nous envahis, nous submerges, au bout du souffle, de la note redite, feulée, sans fard et même crue. Dis t’as pas honte Albert de nous faire ce coup là ? Te mettre à poil, écorché, les tripes à l’air?


Dernier standard joué, On Green Dolphin Street sur lequel Albert Ayler semble parfois trouver un partenaire en la personne du jeune NHOP qui répond aux sollicitations du soliste. Les solos du saxophoniste se montrent très enlevés et se débrident avec profit. L’album se termine par C.T. sans doute en hommage à Cecil Taylor, une composition du leader pendant laquelle l’orchestre en entier semble jouer dans la même direction, d’ailleurs le pianiste est absent, c’est donc en trio, formule gagnante avec Ayler, que se jouera ce dernier morceau, sous la forme d’une libre improvisation. Le batteur emplit les espaces à qui mieux-mieux et NHOP essaie d’accompagner au maximum de ses capacités du moment et s’en sort avec les honneurs… L’ensemble réussit à produire le morceau le plus intéressant ici, si ce n’est ce « Summertime » hors catégorie.


Un album imparfait mais accessible, avec une pièce d’anthologie.
(Note: Sorti en vinyle également avec le titre "Free Jazz")

xeres
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le 9 mars 2016

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